Alors que moins de 1% des entreprises marocaines accèdent aujourd’hui à la formation continue via le dispositif existant, la comparaison internationale est saisissante: en Europe, 44% des adultes suivent chaque année une formation, en Allemagne près d’un sur deux, et à Singapour plus d’un demi-million de citoyens ont utilisé leur crédit formation rien qu’en 2023. En France, le Compte Personnel de Formation (CPF) finance plus d’1,3 million de formations par an.
Ce contraste dit tout: notre système est à bout de souffle. Dans un monde où les compétences sont devenues la monnaie la plus précieuse, le Maroc ne peut plus se contenter d’un dispositif obsolète, centralisé et lourdement administratif.
Le Momentum Maroc est unique. Nous bâtissons des infrastructures d’envergure, nous attirons des investissements stratégiques, nous nous préparons à accueillir la Coupe du Monde 2030. Mais sans un réarmement massif de nos compétences, ces ambitions resteront fragiles. Le vrai capital d’un pays n’est pas seulement économique ou financier: il est humain.
Une loi en suspens, un droit jamais effectif
La loi 60.17, adoptée en 2018, avait déjà posé les bases d’un droit universel à la formation continue. Elle prévoyait notamment pour chaque salarié un crédit formation de 3 jours par an, cumulable sur 5 ans. Une avancée majeure, sur le papier.
Mais six ans plus tard, cette loi reste quasi inapplicable. Ni les textes réglementaires, ni les mécanismes de financement n’ont été mis en place. Résultat: ce qui devait être un droit effectif pour les salariés est resté une promesse inachevée.
Ce décalage illustre parfaitement la faiblesse de notre système: nous savons diagnostiquer et voter des lois, mais nous peinons à les traduire en réalités tangibles pour nos entreprises et nos citoyens.
Un financement mal orienté
Le financement de la formation continue est aujourd’hui l’illustration parfaite d’un système verrouillé. Les entreprises marocaines cotisent via la Taxe de Formation Professionnelle, mais l’utilisation de ces fonds reste largement centralisée et orientée par l’OFPPT, qui cumule les rôles d’opérateur et de gestionnaire.
Ce schéma a montré toutes ses limites. Non seulement il crée un conflit d’intérêts, mais il prive les entreprises – en particulier les PME et TPE – d’un accès direct et efficace à la formation continue.
Au regard des enjeux actuels, il est impératif de changer de paradigme: les fonds issus du privé doivent aller au privé. Autrement dit, les contributions des entreprises doivent financer directement leurs salariés et leurs plans de formation, via un système transparent, traçable et ouvert, piloté par une Autorité Nationale des Compétences indépendante.
Ce n’est qu’à ce prix que la confiance pourra être rétablie entre les entreprises, l’État et les organismes de formation.
Un système obsolète, qui exclut les PME et les territoires
Le dispositif actuel est dominé par une logique de centralisation excessive. L’OFPPT est à la fois opérateur et gestionnaire de fonds: juge et partie, avec des résultats limités. Les grandes entreprises s’en sortent, mais nos PME, TPE et régions rurales sont quasi exclues. La formation continue, censée être un droit, reste un privilège réservé à une minorité.
Les enjeux: un Maroc compétitif par ses talents
Le Maroc joue aujourd’hui sa place dans la chaîne de valeur mondiale. Automobile, aéronautique, énergies renouvelables, digital, infrastructures… autant de secteurs qui exigent des compétences à jour, agiles et certifiées.
Former en continu, ce n’est pas seulement améliorer l’employabilité: c’est une question de souveraineté nationale. Sans talents réarmés, nous ne pourrons pas tenir nos promesses de développement.
Oser la disruption: un nouveau modèle systémique
1) Une Autorité Nationale des Compétences (ANC) indépendante qui régule et finance, sans opérer
- Statut autonome, conseil paritaire (État, patronat, syndicats, régions, experts).
- Collecte (via CNSS) et répartition des fonds selon des règles publiques; open data et audit annuel.
- Contrats d’objectifs et de performance avec les acteurs; sanctions importantes en cas de non-qualité ou de manque d’éthique.
2) Des Pôles Sectoriels de Compétences (PSC) pour développer la proximité économique
- Organisés par grandes filières; gouvernance partenaires sociaux.
- Missions: anticipation des compétences, appui PME/TPE, achat groupé, ingénierie de parcours, soutien à l’alternance.
- Contrats de filière (objectifs, volumes, insertion, territoires).
3) Un Compte Formation Maroc (CFM) universel pour un droit individuel à la formation , digital et portable
- Droits monétisés (crédits dirhams), visibles dans une application ; inscription/paiement en ligne.
- Abondements possibles (employeur, régions, État, partenaires) et chèques formation ciblés pour bas salaires/chômeurs.
- Validation des Acquis par l’Expérience, bilans de compétences et langues éligibles d’office.
4) Règles de financement claires et pro-PME: «Les fonds du privé vont au privé»
- Affectation indicative: 60% pour PME/TPE, 20% pour métiers en tension/transitions, 10% innovation & EdTech, 10% équité territoriale.
- Barèmes transparents (plafond/heure, cofinancement) et paiement aux résultats (bonus insertion, certification, requalification).
- Procédures ultra-simplifiées et digitalisées pour TPE (forfaits), avance de trésorerie possible, remboursement en moins de 30 jours.
5) Qualité & données – confiance et performance
- Label national des organismes (contrôles proportionnés), référentiel qualité unique.
- Traçabilité des parcours, tableau de bord public (accès, insertion, satisfaction),
- Opérationnalisation de l’observatoire national des compétences.
6) Inclusion & mobilité car chaque territoire compte
- Villages de compétences dans les zones rurales et périurbaines; mobilité inter-régions financée.
- Dispositifs pour l’informel et reconversions rapides; diaspora mobilisée comme mentors/formateurs; passerelles de reconnaissance internationale des certifications.
Un appel à l’action: une alliance nationale des compétences.
Le Maroc doit bâtir une alliance nationale entre l’État, les entreprises, les syndicats, les régions et la diaspora. Car la formation continue n’est pas un simple outil RH, c’est une responsabilité collective et une urgence nationale. Chaque année perdue est une génération fragilisée. Chaque réforme timide est une occasion manquée.
Choisir la souveraineté par les talents
Notre pays a su prouver qu’il pouvait relever des défis colossaux: infrastructures, stabilité, attractivité. Le prochain défi est clair: réinventer la formation continue pour faire du Maroc une puissance par ses talents.
Nous n’avons plus le luxe d’attendre. La formation continue n’est pas une option. C’est le socle de notre souveraineté économique, sociale et nationale.
La bonne nouvelle, c’est que le diagnostic est aujourd’hui largement partagé. Toutes les parties prenantes – entreprises, syndicats, régions, et même le ministère de tutelle reconnaissent que le dispositif actuel est obsolète et qu’il faut oser la disruption. Le chantier est sur la table du ministre.
C’est précisément cette convergence qui crée une opportunité historique: ouvrir un grand débat national et inclusif pour bâtir, ensemble, un modèle marocain de formation continue, moderne, équitable et tourné vers l’avenir.
Embrasser ce chantier de la formation continue, c‘est apporter un début de réponse au dernier discours de Sa Majesté lors de la fête du Trône, lequel nous a interpellés sur le fait qu’il ne saurait y avoir deux Maroc.
Le temps est venu.






