À l’issue de la réunion trimestrielle de son Conseil, tenue mardi 16 décembre 2025 à Rabat, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, est revenu sur l’évolution du dossier sensible de la directive européenne qui menace l’activité des banques marocaines en Europe et, par ricochet, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE).
Interrogé sur l’état des discussions avec les partenaires européens, et notamment sur les efforts consentis pour lever les zones d’ombre entourant l’accord avec la France, le patron de la Banque centrale a livré des éléments encourageants.
«Du côté français, c’est positif», a-t-il affirmé, soulignant que les discussions sont désormais entrées dans une phase de finalisation. Les autorités françaises doivent toutefois soumettre les conclusions de cet accord à la Commission européenne (CE), qui conserve un droit de regard déterminant.
Cette validation de la CE est perçue comme une étape clé par Bank Al-Maghrib. Elle permettrait de consolider le compromis trouvé avec Paris et de l’ériger en référence dans les discussions à venir avec les autres pays européens.
«Nous attendons cette validation, car elle va nous faciliter la tâche avec les autres pays européens avec lesquels nous allons discuter», a insisté Abdellatif Jouahri, précisant que les négociations élargies ne pourront véritablement débuter qu’une fois ce feu vert obtenu.
Une directive à fort impact sur la diaspora marocaine
Le dossier s’inscrit dans un contexte réglementaire européen complexe. La directive en question, adoptée par le Parlement européen et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 19 juin 2024, doit entrer en vigueur le 1er janvier 2026.
Conçue dans le sillage du Brexit, elle vise à restreindre l’activité des banques non européennes opérant au sein de l’Union. Si la cible initiale est le système bancaire britannique, le texte s’applique également aux établissements marocains présents sur le territoire européen.
Or, ces derniers disposent d’un réseau dense en Europe, à travers des filiales, succursales et bureaux de représentation dans au moins sept pays, dont la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Ce maillage joue un rôle essentiel pour la diaspora marocaine, en permettant l’ouverture de comptes, la gestion de l’épargne et, surtout, l’envoi de fonds vers le Maroc.
Ces transferts constituent une ressource stratégique pour l’économie nationale. En 2024, ils ont dépassé 117,7 milliards de dirhams, représentant 7,7% du PIB et un soutien majeur à la balance des paiements.
Lire aussi : Transferts des MRE: Bank Al-Maghrib rassure mais exige la levée des zones d’ombre de l’accord avec la France
En interdisant certaines activités bancaires transfrontalières, la directive fait peser un risque direct sur l’accès des MRE à leurs banques de référence. Le danger est à la fois social et macroéconomique.
D’un côté, une perte de proximité bancaire pour les Marocains établis en Europe; de l’autre, une menace sur les flux de devises, si les transferts de fonds devaient transiter par des circuits alternatifs plus coûteux ou moins adaptés.
Conscient de ces risques, Abdellatif Jouahri avait alerté dès septembre 2024 sur les conséquences potentielles du texte. Une task force permanente a alors été mise en place, réunissant Bank Al-Maghrib, les ministères des Finances et des Affaires étrangères, ainsi que les banques marocaines concernées.
Sa mission consiste à négocier avec les institutions européennes et les autorités nationales des pays accueillant une forte diaspora marocaine, afin de préserver la continuité des services bancaires.
C’est dans ce cadre qu’un compromis a été trouvé avec le Trésor français en juin 2025, la France représentant plus de 30% des transferts des MRE. Un accord finalisé en juillet, mais encore soumis à l’approbation de la CE.
La France comme clé d’ouverture
Cet accord avec Paris ouvre la voie à une approche de négociation «pays par pays», que Bank Al-Maghrib souhaite étendre à d’autres pays, notamment l’Espagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas.
En septembre dernier, le wali de BAM s’était dit «plus rassuré», tout en appelant à la plus grande vigilance sur la formulation juridique des textes. «Il ne faut surtout pas laisser de termes susceptibles de prêter à confusion», avait-il averti.
Le risque, selon lui, ne réside plus dans l’orientation politique du dialogue, mais dans la technicité juridique, qui pourrait permettre des interprétations restrictives par les régulateurs européens.
C’est précisément ce point que les autorités marocaines cherchent désormais à verrouiller, avant d’engager formellement les discussions avec l’ensemble des partenaires européens.
Pour Abdellatif Jouahri, la validation attendue de la CE constituerait «la clé d’ouverture» permettant d’aborder ces négociations sur des bases plus solides et harmonisées.
Lire aussi : Transferts des MRE: un léger repli qui cache un potentiel inexploité
Sur le plan des chiffres, les transferts de fonds des MRE ont enregistré une progression modeste de 1,5% à fin octobre 2025, atteignant 102,93 milliards de dirhams.
Selon les projections de Bank Al-Maghrib, cette dynamique devrait toutefois s’améliorer. Les transferts des Marocains résidant à l’étranger sont attendus en hausse moyenne annuelle de 3,1% entre 2025 et 2027.
À cet horizon, ils pourraient atteindre près de 130 milliards de dirhams, confirmant leur rôle central dans le financement de l’économie nationale.
Pour le Maroc, l’enjeu dépasse ainsi la seule question réglementaire. Il s’agit de préserver un lien économique et financier vital entre la diaspora et son pays d’origine, dans un contexte international marqué par une montée des incertitudes.
Les prochains mois seront décisifs pour transformer l’accord français en un modèle reproductible à l’échelle européenne.







