Longtemps florissant, le marché de l’irrigation est aujourd’hui frappé de plein fouet par la sécheresse prolongée, la baisse du volume des nappes phréatiques et la réduction continue des ressources en eau. À telle enseigne que le secteur lutte désormais pour sa survie, environ 10% de ses entreprises ayant déjà mis la clé sous la porte, comme l’explique Najib El Mahfoudi, président de l’Association marocaine de l’irrigation par aspersion et goutte à goutte (AMIAG).
Le360: Présentez-nous l’Association marocaine de l’irrigation par aspersion et goutte à goutte
Najib El Mahfoudi: L’AMIAG représente le secteur de l’irrigation au Maroc depuis sa création, en novembre 2004, ce qui en fait la plus ancienne dans ce domaine. À ce jour, elle fédère près de 650 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire national, structurées autour d’un bureau national et des coordinations régionales.
Notre association regroupe les principales entreprises marocaines du secteur, y compris celles ayant une envergure internationale, avec un bureau national qui réunit les directeurs généraux de ces entités. Nous constituons de ce fait le principal interlocuteur du ministère de l’Agriculture pour toutes les questions liées au secteur de l’irrigation.
Quelles sont les méthodes d’irrigation actuellement utilisées au Maroc?
En termes de techniques d’irrigation, le Maroc emploie le goutte-à-goutte, l’aspersion, et l’irrigation par pivot. Ces méthodes sont complétées par des technologies avancées et connectées, telles que l’utilisation de capteurs dans le sol, pour mesurer l’humidité et ajuster automatiquement l’irrigation en fonction des besoins détectés, optimisant ainsi la gestion de l’eau.
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Ces capteurs sont intégrés pour surveiller en temps réel le niveau d’humidité du sol dans les champs. Ils offrent une mesure précise du contenu en eau du sol à différentes profondeurs, ce qui permet une compréhension détaillée des besoins en eau des cultures, en évitant ainsi le gaspillage d’eau. Il s’agit de nouvelles technologies certes coûteuses, mais qui jouent un rôle crucial dans l’optimisation de la gestion de l’eau dans le secteur agricole.
Quelles mesures le Maroc a-t-il adoptées pour promouvoir l’irrigation localisée face à la baisse des réserves en eau?
Un effort considérable a été déployé par le ministère de l’Agriculture, et plus particulièrement par la direction de l’irrigation, pour convertir de vastes superficies à l’irrigation localisée, notamment au système de goutte-à-goutte. Cette initiative a permis de réaliser d’importantes économies d’eau. De plus, la tutelle vise à étendre l’irrigation localisée à 940.000 hectares d’ici 2027, soit environ 60% de la superficie irriguée du Maroc, permettant ainsi d’économiser près de 2,5 milliards de mètres cubes d’eau par an.
«Les techniques d’irrigation localisée contribuent à augmenter les rendements de plus de 30 à 40%»
— Najib El Mahfoudi, président de l’AMIAG
Les techniques d’irrigation localisée ne se contentent pas d’optimiser l’utilisation de l’eau, elles contribuent également à augmenter les rendements de plus de 30 à 40% en fournissant aux plantes l’eau dont elles ont besoin au moment opportun.
L’exécutif a en outre mis en place un programme national d’économie d’eau et d’irrigation, accompagné d’un vaste plan d’amélioration des infrastructures. Ce dernier inclut la mise en place de grandes stations de filtration desservant plusieurs agriculteurs regroupés au sein d’associations. Ces initiatives font partie des programmes d’irrigation collectifs et individuels, qui s’ajoutent à des marchés publics.
Les petits agriculteurs, souvent propriétaires de parcelles de moins de cinq hectares, sont regroupés par l’État au sein d’associations pour bénéficier des équipements collectifs, tels que de grands bassins et des stations de filtration, leur évitant ainsi les coûts liés à l’installation individuelle de tels systèmes.
Comment la sécheresse a-t-elle impacté l’activité des entreprises opérant dans le secteur d’irrigation?
Actuellement, nous sommes confrontés à une sécheresse persistante qui sévit depuis trois ans, sinon plus, marquant ainsi un enjeu structurel pour le Maroc. Cette période se caractérise par un déficit pluviométrique et une diminution continue des réserves en eau dans les barrages.
Alors que les épisodes de sécheresse antérieurs étaient compensés par la présence de nappes phréatiques relativement abondantes sur le territoire, la période allant de 2022 à 2024 a révélé un défi doublement critique: la raréfaction de l’eau dans les barrages, accompagnée d’une baisse alarmante du niveau des nappes phréatiques à l’échelle nationale.
Cette situation a, en toute logique, des répercussions socio-économiques majeures, parmi lesquelles se pose le défi de la sécurité alimentaire du pays. Bien que l’accent soit souvent mis sur l’importance de l’eau potable, il est crucial de ne pas négliger le rôle fondamental de l’eau d’irrigation dans la garantie de ce principe. Par conséquent, le recul pluviométrique ainsi que l’assèchement des nappes phréatiques ont engendré d’importantes difficultés, notamment une réduction des projets d’irrigation en raison de la disponibilité limitée de l’eau.
Quelles sont les autres contraintes qui pèsent actuellement sur le secteur?
Il faut savoir que suite à des ajustements en 2020, les subventions au secteur ont été réduites à 70% pour les superficies supérieures à cinq hectares et inférieures à 20 hectares, et 60% pour la superficie supérieure à 20 hectares. Cela a entraîné une forte diminution des nouveaux projets d’irrigation.
«Le déblocage des aides de l’État pour les projets d’irrigation accuse un grand retard, qui peut atteindre les 18 mois.»
— Najib El Mahfoudi, président de l’AMIAG
De plus, le taux des crédits bancaires relatifs à l’irrigation, notamment les avances sur aides de l’État, dont le taux est passé de 3,5% à 5,5%, a rendu le financement des projets d’irrigation plus coûteux pour les entreprises du secteur et pour les agriculteurs, limitant ainsi leur capacité à investir dans de nouvelles infrastructures.
À cela s’ajoute le déblocage des aides qui accuse un grand retard, pouvant aller jusqu’à 18 mois, période durant laquelle les entreprises d’irrigation, qui préfinancent les projets, doivent supporter les coûts sans rémunération.
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Tous ces facteurs ont entraîné de grandes difficultés financières chez près de 40% des entreprises opérant dans le secteur de l’irrigation, et plus de 10% d’entre elles ont fini par déclarer faillite. Les retards de paiement exposent également certains dirigeants d’entreprise au risque de poursuites judiciaires, notamment pour des chèques impayés.
Comment la nouvelle loi sur les délais de paiement affecte-t-elle les entreprises d’irrigation?
La nouvelle loi sur les délais de paiement impose aux entreprises de régler leurs factures dans un délai de 60 jours, sous peine de pénalités, ce qui contraste fortement avec les délais de paiement étendus par la tutelle aux agriculteurs et aux entreprises, via les délégations de créances. Il devient alors crucial que la tutelle accélère le processus de subvention.
Par ailleurs, une part significative du matériel d’irrigation étant importée, les entreprises se trouvent dans l’incapacité de payer leurs fournisseurs, en raison des retards du versement des subventions par la tutelle. Cette situation met en évidence les contraintes croissantes auxquelles sont confrontées les entreprises du secteur, exacerbées par le manque de fonds alloués par le ministère de l’Agriculture aux programmes d’irrigation, entraînant une accumulation des problèmes année après année.
Est-il encore difficile d’obtenir des autorisations de creusement et de pompage?
Oui, il est toujours difficile d’obtenir des autorisations de creusement et de pompage, et cela s’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a deux ans, une directive ministérielle a été introduite pour réguler l’utilisation de l’eau. Cette directive est certes essentielle pour la gestion des ressources hydriques, mais elle a également créé des complications pour les projets en cours. En effet, la demande croissante en eau et les préoccupations liées à la gestion durable des ressources hydriques ont conduit à des exigences plus strictes en matière d’autorisations. Et cela peut entraîner des retards et des complications supplémentaires pour nos projets.