Production de miel, disparition des abeilles: l'apiculture marocaine en souffrance

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Les abeilles du bled, déjà connues pour leur agressivité et leur manque de productivité, se cachent désormais pour mourir. La production locale de miel, structurellement insuffisante, devrait en pâtir, tandis que les autorités sanitaires se démènent pour préserver la filière de l'apiculture.

Le 02/04/2022 à 14h59

Mielleux, les mets des ftours ramadanesques ne risquent pas de manquer au rendez-vous. C'est que durant ce mois sacré et surtout celui qui le précède (Chaâbane), 5.500 tonnes de miel sont tartinées en gâteaux ou préparations traditionnelles. C'est quasiment la moitié de la consommation annuelle moyenne du Marocain estimée à 250 grammes de ce nectar vénéré.

Cette forte pression sur le marché donne évidemment du fil à retordre aux distributeurs. «C'est tout le marché qui est actuellement en rupture de stock surtout qu'il n'y a pas de production locale», nous explique Abdelkrim Zemzami, dirigeant du groupe éponyme leader du marché du miel. «La production locale n'a jamais pu satisfaire les besoins du marché. Et le décalage annuel de 13 jours du mois de ramadan nous impose d'ajuster régulièrement nos circuits d'importation de manière à les adapter aux saisons de récolte», poursuit celui qui a repris le flambeau de son père, un ancien garde forestier qui a lancé ses premières ruches en 1957.

Aujourd'hui, le groupe Zemzami dispose d'environ 4.000 ruches, mais aussi d'unités de conditionnement. Son célèbre pot en plastique, rempli de miel local ou importé, a accompagné des générations de ménagères marocaines et reste toujours le produit d'appel des enseignes de grande distribution, prises d'assaut durant ce mois de grande consommation. La ruche Zemzami, c'est aussi une unité de production de matériel apicole à Salé qui a fleuri et prospéré au fil des efforts consentis par les pouvoirs publics pour le développement de cette filière. Mais en connaisseur du secteur, Abdelkarim Zemzami est le premier à admettre que «le contrat-programme signé avec le ministère a été une occasion ratée pour le développement de l'apiculture. La Fédération interprofessionnelle marocaine d'apiculture (FIMAP) créée pour le piloter n'a pas fait preuve d'efficacité».

Un bilan qui piqueSigné le 26 avril 2011, ce contrat-programme de la filière apicole se fixait des objectifs ambitieux à horizon 2020, à l'instar de toutes les conventions du Plan Maroc Vert. La production de miel au Maroc devait alors atteindre les 16.000 tonnes grâce, entre autres, à des investissements publics et privés avoisinant 1,6 milliard de dirhams.

Sauf que les investissements les plus importants sont restés limités à l’acquisition de ruches. «D'ailleurs, la décision de surseoir à la subvention des ruches en 2013 a eu pour effet de ralentir les investissements du secteur privé qui jusqu'en 2019 n'a pas apporté plus de 250 millions de dirhams sur le milliard qu'il s'est engagé à mobiliser», nous explique un ancien du département de l'Agriculture.

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Même si le Plan Maroc Vert a permis à la filière d'afficher de meilleurs indicateurs avec un doublement de la production, celle-ci reste limitée à environ 8.000 tonnes de miel. Et cela n'est pas exclusivement dû au ralentissement des investissements dans la filière, ou encore à la part importante des ruches traditionnelles et au manque de maîtrise du processus. Il s'agit aussi d'une race d'abeille qui devient moins productive dans des élevages saturés…

Une abeille paresseuse?En effet, les deux-tiers des colonies marocaines sont constituées d'abeilles noires avec une prédominance importante de la tellienne (Apis mellifica intermissa). Celle-ci se caractérise par sa tendance à l'essaimage, son agressivité naturelle et une faible productivité observée ces dernières années, en raison de l’insuffisance de travail de sélection.

Il y a déjà cinq ans des spécialistes marocains avait alerté sur ce phénomène, dit «effet de régression», dans une étude consacrée à l'apiculture et à la production de miel. «Suite au manque d’organisation des transhumances, de délimitation des berceaux de race et de conscience des apiculteurs, il y a lieu de noter que les races d’abeille au Maroc sont à un stade d’hybridation avancée se traduisant par l’annihilation des effets de la longue sélection naturelle et, par conséquent, la disparition progressive des races pures et la chute des rendements des ruches», peut-on lire dans cette étude qui remonte à 2017.

Aujourd'hui, le problème devient encore plus épineux avec l'effondrement des colonies qui inquiète tant les autorités sanitaires. Spécialiste français en apiculture, Bernard Nicollet avait été sollicité en 2020 déjà, par une entreprise apicole marocaine qui avait perdu plus de 3.000 colonies en quelques années. «Pour combler le manque de production et rentabiliser les déplacements, les apiculteurs marocains surchargent leurs ruchers», explique-t-il. «Sur les hauteurs de Meknès, à quelques encablures, il y a une concentration de plus de 6.000 ruches sur les caroubiers d'une distance de moins d'un kilomètre. Comment voulez-vous produire du miel dans de telles conditions? Les quelques ruches visitées au hasard démontrent un grave état de famine», poursuit-il.

Effondrement des coloniesLe Maroc se retrouve ainsi rattrapé par ce syndrome mondial d'effondrement des colonies d'abeilles et l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) semble à peine prendre la problématique à bras le corps. C'est en janvier dernier qu'il a constaté officiellement le phénomène qu'il a qualifié de «nouveau» et a approfondi les investigations pour conclure qu'il est dû à une interaction de plusieurs facteurs notamment climatiques et environnementaux. «Pour mieux connaître les facteurs liés à ce phénomène, l’ONSSA a organisé un colloque réunissant près de 200 professionnels et experts qui s’est achevé par l’élaboration de plusieurs recommandations», explique Abdellah Janati, directeur de cet établissement public.

Un plan d'actions doté d'une enveloppe de 130 millions de dirhams a même été déployé dare-dare. «Il s'agit d'un programme spécial afin de soutenir les apiculteurs touchés par ce phénomène, à travers un ensemble de mesures dont le traitement contre la varroa, le repeuplement progressif des ruches, ainsi que la sensibilisation et la formation des apiculteurs et l'organisation de la transhumance pour une meilleure gestion des pâturages», résume Abdellah Janati.

L'ensemble de ces actions vise désormais à préserver une filière dont le poids socio-économique est non négligeable: plus de 36.000 apiculteurs tirent leur revenu, en totalité ou en partie, de cette activité. L'apiculture joue un rôle essentiel dans la pollinisation des plantes naturelles et cultivées, tout en améliorant la quantité et la qualité des productions végétales.

La priorité semble aujourd'hui de conserver l'acquis avant d'espérer donner un nouvel élan au développement de cette filière. Révolu le temps où la diversité floristique, faunistique et paysagère du Royaume était considérée comme un paradis pour les abeilles et le dotait d’un potentiel apicole considérable, équivalent à la production de quelque 50.000 tonnes de miel par an. Désormais, pour satisfaire ses besoins, le Maroc sera contraint de se tourner vers l'importation de miel et peut-être même de nouvelles reines pour de nouvelles races davantage travailleuses.

Par Fahd Iraqi
Le 02/04/2022 à 14h59