Politique de l’emploi: les inévitables bonnes pratiques qui feront la différence

Adnan Debbarh.

ChroniqueLongtemps ignorée, voire repoussée par les gouvernements successifs, la relation entre pratiques de bonne gouvernance, compétitivité, coûts salariaux, productivité et création d’emploi s’invite de nouveau à la table.

Le 24/07/2024 à 11h09

Les politiques économiques déployées par les différents gouvernements en matière de création d’emploi n’ont pas donné les résultats escomptés. À la demande d’emplois systématiquement supérieure à l’offre est venue se greffer une sécheresse récurrente, libérant une masse impressionnante de bras et aggravant davantage le niveau du chômage. Avec un taux d’occupation de 43%, le pays ne profite pas de sa manne démographique et subit un gâchis important.

Le gouvernement actuel, conscient des risques sociaux et politiques qu’un niveau élevé de chômage représente pour le pays, et non sans avoir tergiversé durant le premier mi-mandat, semble s’être décidé à chercher des solutions innovantes pour combattre ce fléau.

Le Maroc a testé plusieurs modèles économiques en matière de création d’emploi depuis 30 ans. Grosso modo, depuis la signature de l’accord de libre-échange avec l’UE. L’orientation dominante, à l’époque, considérait l’investissement comme le principal levier de création d’emploi. Son volume devait déterminer le niveau du chômage. La plupart des économistes avaient même fixé un objectif idéal capable d’inverser la courbe: 28% du PIB. Bien qu’atteint et rapidement dépassé (>30%), ce taux n’a pas donné les résultats espérés. La suite est connue. Tout en maintenant un niveau élevé d’investissement, on a commencé à être plus regardant sur ses formes d’utilisation: infrastructures, politiques sectorielles, ciblage des aides… Le paradigme sous-jacent est demeuré le même depuis: la croissance et la création d’emploi sont une affaire strictement économique qui demande un traitement de même nature, pas plus.

Les autres grandes dimensions d’une politique globale de l’emploi faisaient l’objet d’attentions moins soutenues, car considérées non prioritaires ou pas aussi décisives.

Je citerais les composantes d’une bonne gouvernance faites de transparence et de responsabilité dans la gestion des affaires publiques, de stabilité et de célérité juridiques, de lutte contre la corruption, d’efficacité de l’action administrative en termes de coûts et de délais de réponse, d’un environnement législatif et réglementaire complet et favorable, couvrant l’ensemble des aspects de la vie d’une entreprise. Ces éléments, additionnés à la stabilité politique existante, auraient favorisé un meilleur climat de confiance, attractif de l’investissement et facilitateur de l’initiative entrepreneuriale.

Un autre facteur important qui favorise la création d’emploi qu’on a eu trop tendance à occulter, forgeant davantage dans la mentalité collective du marocain un découplage contre-productif entre effort et rétribution, concerne l’impact des coûts salariaux et de la productivité du travail sur la création d’emploi. Récemment, j’ai consacré une chronique aux ambitions du Maroc de devenir un relais des investissements étrangers avec ceux du Mexique et du Vietnam. À ma surprise, j’avais découvert que notre SMIG (environ 300 euros) était similaire à celui du Mexique, pour une productivité de travail bien inférieure, et supérieur à celui du Vietnam (200 euros), pour une productivité moindre aussi. Malgré les dénégations de plusieurs analystes, c’est un facteur pris en compte par nombre d’investisseurs, surtout dans les activités employant beaucoup de main-d’œuvre.

Les récentes déclarations du Chef du gouvernement sur l’emploi ont-elles pris en considération les deux dimensions gouvernance et compétitivité?

Les augmentations du salaire minimum récemment actées semblent avoir écarté l’éventualité d’un appel de pied aux investissements regardants sur les coûts salariaux, surtout que peu de mesures ont été programmées pour une amélioration significative de la productivité.

Reste le volet amélioration de la gouvernance. Un sujet sensible pour beaucoup de décideurs politiques effrayés à l’idée d’être vus comme voulant secouer certains équilibres imaginaires, ou ayant une lecture superficielle de la notion d’intérêt national.

Trois décisions du Chef du gouvernement pourraient laisser entrapercevoir un début de commencement d’un changement dans la gouvernance des politiques de l’emploi: la décision de soumettre au Parlement la loi sur le droit de grève, les mesures en faveur du foncier dans 6 régions, en attendant les six autres, et les mesures en faveur du secteur touristique.

La loi sur le droit de grève est en projet depuis… 1962. Sa sortie contribuerait à compléter l’arsenal législatif visant à donner de la visibilité aux entreprises, nationales ou étrangères.

Les secteurs de l’habitat et du tourisme, grands pourvoyeurs d’emploi, connaissent une croissance lente à cause d’une gestion du patrimoine foncier où beaucoup de considérations non économiques entrent en jeu. Il semblerait que le Chef du gouvernement s’est laissé convaincre par le cabinet de conseil à qui a été confiée la mission de trouver des solutions «innovantes» à la problématique de l’emploi, lequel à son tour n’a fait que répercuter le contenu de ses différentes auditions, révélant que les blocages venaient de certaines décisions administratives dans ce domaine. Autre caractéristique de ces premières décisions: elles ne coûtent rien au budget de l’État et peuvent même lui rapporter des fonds.

Est-ce un changement de paradigme dans les politiques de l’emploi pratiquées jusqu’à présent? Les pratiques de bonne gouvernance vont-elles s’installer dans la durée ou prendre leurs quartiers pour une durée déterminée? Tout dépend des résultats qui ne sauront tarder à apparaître, surtout dans le secteur de l’immobilier.

Pour l’amélioration de la productivité et de la compétitivité, l’ouverture croissante de notre économie à l’international finira certes par nous imposer une mise à niveau, mais elle retardera aussi la création d’emplois supplémentaires en quantité.

Par Adnan Debbarh
Le 24/07/2024 à 11h09