La flambée actuelle de l’or ne relève ni d’un accident de marché ni d’une bulle spéculative isolée. Elle s’inscrit dans une dynamique de fond que les professionnels du secteur avaient anticipée. «On s’attendait à cette augmentation, et on s’attend encore à d’autres hausses, au niveau international comme national», affirme Driss El Hazzaz.
L’explication centrale tient à la rareté physique du métal. Les volumes disponibles à l’échelle mondiale sont structurellement limités, alors que les échanges financiers adossés à l’or atteignent des niveaux sans commune mesure avec les réserves réelles. «Lorsqu’il circule en Bourse, l’or est échangé à des niveaux jusqu’à onze fois supérieurs à la réserve mondiale», souligne-t-il, décrivant un effet de levier financier qui amplifie mécaniquement les tensions sur les prix.
Cependant, cette contrainte d’offre s’ajoute à une recomposition géoéconomique des réserves internationales. Les banques centrales, notamment celles des pays du groupe BRICS, intensifient leurs achats d’or. «Les statistiques des banques centrales montrent clairement cette tendance. Ces pays se positionnent en prévision d’un affaiblissement du dollar américain», explique le président de la Fédération marocaine des bijoutiers. L’or redevient ainsi un actif stratégique, autant monétaire que politique.
Pour le marché marocain, la hausse mondiale se traduit par un effet ciseau. Le marché national subit simultanément la pression des cours internationaux et celle d’un marché intérieur profondément déséquilibré. «Nous subissons deux augmentations: celle de la Bourse internationale et celle du marché noir marocain», résume Driss El Hazzaz.
L’approvisionnement légal du secteur apparaît structurellement insuffisant. Les bijoux anciens recyclés ne couvrent qu’une part marginale des besoins. «Entre 10 et 15% seulement des bijoux anciens sont recyclés», précise-t-il. Cette faiblesse rend la profession dépendante des importations, elles-mêmes sévèrement contraintes. À ce titre, les importations d’or sont bloquées par l’Office des changes, en raison des limites imposées aux sorties de devises. À cela s’ajoute un paradoxe minier majeur, car les mines d’or et d’argent opérant sur le territoire national exportent la totalité de leur production. «Elles travaillent sous un régime d’offshoring qui leur impose de laisser 15% de la production au Maroc, mais dans les faits, tout est exporté», déplore Driss El Hazzaz.
Le résultat est un circuit coûteux pour l’économie nationale. «Le Maroc exporte l’or par la grande porte et le fait rentrer par la fenêtre», observe-t-il, décrivant l’essor d’un marché informel devenu source principale d’approvisionnement pour de nombreux bijoutiers.
Fluctuation du dirham, un facteur de renchérissement généralisé?
La perspective d’une plus grande flexibilité du dirham à partir de 2026 ajoute une variable macroéconomique déterminante. Pour Driss El Hazzaz, l’impact dépasserait largement le seul secteur de l’or. «S’il y a une fluctuation du dirham, tous les produits connaîtront une augmentation. Pas seulement l’or, mais aussi les produits alimentaires et l’ensemble des biens importés», avertit-il.
Les expériences étrangères servent de référence implicite. «On a vu l’exemple de la Turquie, celui de l’Égypte», rappelle-t-il, évoquant des épisodes où la dépréciation monétaire a rapidement alimenté l’inflation importée. Dans un tel scénario, l’or jouerait pleinement son rôle de valeur refuge, accentuant encore la pression sur les prix domestiques. Toutefois, il précise que la hausse de l’or frappe de plein fouet les petites unités artisanales, cœur historique du secteur. Les marges se compressent, la trésorerie s’épuise et les fermetures se multiplient. «Après chaque augmentation, nous constatons que des unités ferment», témoigne Driss El Hazzaz.
Au-delà des pertes d’emplois, l’enjeu est patrimonial, pour le président de la Fédération marocaine des bijoutiers de «Le savoir-faire ancestral ne se trouve pas dans les grandes usines, il est chez les artisans», insiste-t-il. Chaque atelier qui disparaît emporte avec lui une part du patrimoine immatériel national, forgé sur plusieurs générations.
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Face à ces risques, la Fédération des bijoutiers affirme ne pas être restée inactive. Une étude stratégique approfondie a été menée sur deux ans, financée sur fonds publics. «Une étude de 160 pages qui analyse toutes les problématiques du secteur», précise Driss El Hazzaz. Le document propose un cadre juridique adapté à un secteur dont 70 à 80% des activités relèvent de l’informel. Il avance également des réformes fiscales ciblées, l’abrogation de certains textes douaniers inadaptés et des mécanismes de soutien aux PME et PMI. L’ambition affichée est de porter les effectifs du secteur de 42.000 à 100.000 actifs en cinq ans.
Malgré ces propositions «structurées», les démarches auprès des pouvoirs publics sont restées sans réponse. «Trois lettres ont été envoyées au secrétaire d’État chargé de l’Artisanat. Elles sont restées lettre morte», déplore-t-il. La Fédération déclare se trouver aujourd’hui dans une position d’attente institutionnelle prolongée, consternée par l’absence de réaction des autorités qui nourrit un sentiment d’impasse. «Nous sommes en attente d’un changement de gouvernement», lâche Driss El Hazzaz, constatant l’impossibilité d’ouvrir un dialogue sur l’avenir du secteur.







