Après la note que vient de publier le Haut-Commissariat au Plan sur le sujet, difficile de feindre l’ignorance sur la situation du marché du travail au Maroc. Un mot peut décrire la situation: gâchis. Voilà un pays qui a réussi, grâce au concours de contraintes économiques et de changements culturels exceptionnels, à opérer une précieuse transition démographique (recul de la fécondité), mais qui au lieu d’en profiter pour mettre tout le monde au travail, se place dans l’incapacité de le faire.
La responsabilité incombe au choix de modèles économiques inadaptés à nos réalités économiques ou utilisés de manière incorrecte. Rendant problématique l’accueil de centaines de milliers de demandeurs d’emplois qui se déversent chaque année sur le marché du travail.
Le modèle néo-keynésien précédent, basé sur l’investissement public et le développement des infrastructures, a été dans l’incapacité de créer des emplois en quantité suffisante, malgré qu’on l’ait renforcé de plusieurs plans de soutiens sectoriels. Quant au modèle actuel, prôné par le gouvernement, bien que mettant en avant la préoccupation de l’emploi, il n’est pas utilisé de manière optimale. D’inspiration néo-keynésienne lui aussi, il s’est limité à accroitre «timidement» le volume de la demande, à travers une légère augmentation des budgets sociaux (enseignement et santé), préférant plutôt avantager l’investissement public, en le portant à des niveaux inédits: 300 milliards de dirhams pour 2023.
Est-ce suffisant pour renverser la tendance de la perte nette d’emplois dans l’économie constatée en 2022 (-24.000)? Pourquoi persévérer à miser sur l’investissement public destiné à améliorer les infrastructures essentiellement, sachant qu’il ne porte pas la croissance et la création d’emplois à des niveaux satisfaisants (cf. Déclaration du Wali de Bank Al-Maghrib)? Que faire en attendant que l’investissement privé, pourvoyeur d’emplois prenne un jour, le relai? Le gouvernement table sur les programmes «Awrach» et «Forsa» qui rencontrent un certain succès, le Fonds Mohammed VI destiné à promouvoir l’investissement productif, la nouvelle Charte de l’Investissement, les voyages du ministre de l’Investissement destinés à attirer les investissements étrangers.
Est-ce suffisant pour renverser la tendance? Disposer d’une économie créatrice nette d’emplois? Mettre notre jeunesse au travail?
Dans la continuité de notre ligne composée de questionnements et de propositions, scrutons de nouvelles pistes susceptibles d’améliorer le niveau d’activité national qui, rappelons-le, a baissé de 1 point en 2022 par rapport à 2021.
Tout d’abord deux remarques. La première, qui complique encore plus la mission du gouvernement, concerne le secteur primaire (agriculture, forêt et pêche) et sa perte tendancielle d’emplois. Il continue de perdre des emplois: l’année dernière 215.000, après les quelques centaines de milliers l’année d’avant à cause du Covid. Or il est fort improbable que ce qui a été perdu soit récupéré dans ce secteur. Du fait de l’exode rural, des sécheresses successives, de la modernisation/mécanisation dans les périmètres irrigués. Du fait aussi de la faible valorisation des territoires par des projets alternatifs à l’exploitation agricole, capables de sédentariser la population.
La deuxième remarque concerne les chantiers ouverts par l’exécutif. Ils doivent être poursuivis et améliorés, ils ne sauraient être interrompus, sans exclure d’autres nouveaux chantiers, évidemment. En fait, sur cette question de l’emploi, le gouvernement n’a apporté jusqu’à présent qu’une réponse partielle. L’objectif au début de mandat était clair: «Orienter l’économie vers les activités créatrices d’emplois». La réponse a été partielle quand on a cru que le chômage peut être résorbé uniquement par les industries de «pointe», malgré leurs effets d’entrainement sur l’économie et les chantiers «keynésiens» du style «Awrach». Les déficits sont d’une telle ampleur qu’il faut une véritable mobilisation.
Toute économie ayant les mêmes caractéristiques que la nôtre devrait miser –en sus des programmes déjà entamés, on ne le répétera jamais assez, pour augmenter le taux d’activité national– sur cinq grands secteurs qui sont les véritables gisements dans la phase actuelle: le bâtiment, le tourisme, le textile, la petite industrie et l’artisanat.
Avons-nous besoin de rappeler les déficits en termes de logements, voisins de 1 million, avec un besoin annuel futur de 200.000? Certes, personne n’ignore les problèmes, administratifs, fonciers et de financement que vit le secteur, et auxquels la ministre actuelle n’a pas apporté de solutions pour un véritable démarrage. Il y a un arbitrage à faire entre les centaines de milliers d’emplois à la clé et la satisfaction des égos et des lobbies. Mêmes remarques pour le tourisme. Comment ne pas ressentir une gêne, voire de la rage, face à l’étonnement récent de journalistes allemands spécialisés sur le nombre très bas des arrivées touristiques, alors que nous disposons de sites attrayants? La ministre en charge a beau répéter qu’elle a des objectifs, au début pour 2030, ensuite pour 2026, il lui reste à convaincre. En absence d’ambitions fortes, de stratégies clairement identifiées et de plans d’action, ses propos ne rencontrent que scepticisme.
Le secteur textile peut créer beaucoup plus d’emplois, si son organisation professionnelle réussit à se libérer de la «position dominante» des confectionneurs, et s’orienter vers plus d’intégration et de créativité. Ce qui lui assurera une pérennité et plus de marchés.
Il ne faudrait pas commettre l’erreur de croire que l’industrialisation se limite à l’installation de métiers mondiaux. Il s’agit de valoriser l’ensemble des biens naturels du pays et tendre à une organisation moderne de la société. L’artisanat, quant à lui, commence à améliorer ses performances à l’export. L’occasion de porter ce secteur vers un début d’organisation, de rationalité industrielle et d’améliorer son marketing. C’est, là encore, un grand gisement d’emplois.
On pourra toujours opposer à nos propositions les éternelles difficultés de mise en application. Attitude à laquelle nous répondrons que le rôle d’une bonne gouvernance est d’œuvrer à trouver des solutions.