Maroc: la problématique du financement des projets structurants

Adnan Debbarh.

ChroniqueLe Maroc s’est lancé ces deux dernières années dans un ambitieux programme de modernisation de la société et de l’économie. Avec l’ajout récent de trois projets de taille exceptionnelle (développement de la montagne, organisation de la Coupe du monde, programme d’habitat), l’interrogation des modalités de financement est à l’ordre du jour.

Le 28/10/2023 à 15h00

Le Maroc a-t-il les moyens de ses ambitions? C’est la question posée par nombre d’observateurs au vu de la succession de projets structurants à la taille impressionnante qu’il s’est fixé comme objectif de réaliser dans un laps de temps relativement court. Rappelons quelques-uns de ces chantiers: la généralisation de la protection sociale et de la couverture médicale, la mise à niveau de l’enseignement et du système de santé, la création d’un nouvel écosystème de montagne dans l’Atlas, la mise en place et/ou l’amélioration de l’environnement apte à l’accueil et le bon déroulement de la Coupe du Monde 2030, l’ambitieux plan d’aide à l’accès à l’habitat de diverses catégories sociales, le plan hydrique, la création d’un nouveau modèle économique décarboné avec son ambitieux volet «Hydrogène», la modernisation industrielle à travers le Fonds Mohammed VI et l’ambitieux programme de substitution des importations, la valorisation de la roche phosphatée par l’hydrogène, l’installation de Gigafactorys et autres locomotives capables de booster l’industrie nationale et les exportations, la révision à la hausse de nos ambitions dans le domaine du tourisme… Vaste programme!

A-t-on une idée de combien tous ces chantiers vont-ils coûter aux finances publiques d’ici 2030? À défaut d’informations venant de sources autorisées, votre serviteur s’est livré à des recoupements pour arriver au montant, qui n’engage que lui, de 900 milliards de dirhams.

Pour les ressources en face de ce montant, il y a d’abord l’augmentation annuelle des recettes budgétaires due à la croissance économique. Elles, les recettes budgétaires, sont dans le budget 2023 d’un montant de 294 milliards de dirhams et seront pour le projet de budget 2024 de 311 milliards, soit une croissance de 5,7% par an (17 milliards de dirhams). En arrondissant ce taux à 6%, nous obtenons un total de recettes supplémentaires, d’ici 2030, à supposer que nous maintenions le même taux moyen de croissance économique, de 150 milliards de dirhams. Montant à affecter pour un tiers au maintien du bon fonctionnement de l’État et le reste (100 milliards) aux projets structurants. Il reste 800 milliards de dirhams à trouver. Au vu de la dynamique qui semble se dessiner, il ne serait pas irréaliste de tabler sur 10%, soit 90 milliards de dons et aides nationaux et étrangers, ce qui réduit le montant à trouver à 710 milliards de dirhams.

Le budget de l’État dispose de trois sources de financement: les impôts et taxes, les contributions des entreprises publiques excédentaires et l’endettement. Peut-on les solliciter autrement pour trouver les 710 milliards manquants? Depuis des mois et des mois, celui qui écrit ces lignes, sentant cette situation venir (la problématique du financement), au vu des projets ambitieux mis en route, et souhaitant de toutes ses forces leur réussite comme l’ensemble des citoyens marocains, a multiplié les sorties dans Le360 pour proposer de nouvelles pistes. Que l’on me permette de les rappeler.

Avec un total de recettes fiscales de 280 milliards de dirhams dans le projet de budget 2024, et un PIB prévisionnel de 1400 milliards de dirhams, la part que l’État prélève sur la richesse nationale produite, ou ce que les économistes appellent la pression fiscale, se situe autour de 20%. Nous sommes nombreux à demander une augmentation de cette pression, rejoints récemment par le FMI, pour la porter à 30% à l’instar d’économies comparables.

Comment et pourquoi? Non pas en grevant davantage les citoyens honnêtes et les sociétés ayant déjà opté pour la transparence, mais à travers l’élargissement de l’assiette fiscale (la population éligible à l’impôt) pour arriver graduellement à 30% du PIB, en incluant ceux qui ne contribuent pas à l’impôt direct ou en payent très peu par rapport à leurs revenus. Ceci n’est pas exclusif du maintien du statut spécial du monde agricole qui souffre et de l’appui nécessaire à nos exportations. Avec un taux de croissance moyen annuel de l’économie de 3,5% jusqu’à 2030 et une pression fiscale en hausse de 1,5% chaque année à partir de 2025, pour être portée à 29% six années plus tard, ces hypothèses permettront de récolter 590 milliards d’ici 2030, au lieu des 150 évoqués plus haut.

Cela renforcera l’État, sa vocation sociale et très certainement la croissance. L’État opérera sa mue complète en ajoutant à sa vocation sociale son statut de répartiteur, en encourageant la croissance à travers une meilleure réallocation des ressources et une réduction des disparités (cf. courbe de Gini).

La dette publique n’a pas de quoi inquiéter la décision économique ni par son volume ni par sa qualité. Maintenue à des niveaux raisonnables par rapport au PIB (70%), elle se répartit à 75% en dette interne et à 25% (exclusion faite des engagements hors bilan) en devises. Elle permet dans la situation actuelle du Maroc, après la pénible épreuve du Programme d’ajustement structurel (PAS), vu la disponibilité de réserves en devises, les exportations des produits manufacturés, le développement du tourisme et les transferts des Marocains du Monde, d’envisager en toute responsabilité le recours à des emprunts extérieurs supplémentaires à même de le doter d’un système productif plus cohérent, plus complet, capable de faire mieux fructifier et valoriser les immenses investissements en infrastructures réalisés par le pays.

Aux esprits prompts à la caricature, il ne s’agit pas d’actionner la dette externe pour acheter des céréales et du gasoil, mais bien de réaliser des investissements productifs capables de dégager une valeur ajoutée (croissance) à même de rembourser la dette et de réaliser des bénéfices.

Les finances publiques ne reçoivent pas des contributions importantes des entreprises publiques, les chiffres sont parfois étonnants. Tout en gardant une participation majoritaire de l’État, il serait tout à fait envisageable d’en introduire celles qui remplissent les critères d’éligibilité en Bourse et préparer les autres à cette éventualité. Cela permettra de drainer une partie de l’épargne nationale et contribuera très certainement à améliorer la gouvernance de ces entreprises.

Sur le papier, les horizons ne sont pas fermés, les moyens d’obtenir des financements à hauteur des besoins existent.

Inutile de rappeler que je suis conscient que ce n’est pas une chronique, quelle que soit sa qualité, qui fera bouger les frontières. Aussi, je lance un appel pour l’organisation d’Assises nationales pour le financement des projets structurants. Convoquées par la tutelle (ministère de l’Économie et des Finances), elles réuniraient le gouvernement, les partis politiques, les hauts responsables de la décision économique publique, le Wali de Bank Al-Maghrib ainsi que le système financier, les universitaires, la CGEM… L’objectif serait de parvenir à un accord sur le montant des financements des projets dont le Maroc a besoin et sur lesquels il s’est engagé, et surtout sur les modalités de leur mobilisation.

La démarche n’est pas nouvelle. Le Brésil l’a utilisée avec succès à plusieurs reprises pour parvenir à une meilleure communication entre ses élites économiques publiques, les opérateurs privés et le monde politique.

Par Adnan Debbarh
Le 28/10/2023 à 15h00