L'année vient à peine de démarrer, et voilà déjà que le budget de l’Etat pour 2022 devient caduc. «Toutes les hypothèses sur lesquelles se base la Loi de Finances sont complètement dépassées. Le budget initialement voté devient donc irréalisable», rappelle un économiste.
C'est que les prévisions «objectives et réalistes» dont s’était vantée la nouvelle argentière du Royaume, Nadia Fettah Alaoui, se sont avérées utopiques. Les 80 millions de quintaux de récolte céréalière espérés au cours de cette saison agricole sont définitivement compromis. «Même dans le scénario le plus optimiste de précipitations dans les prochaines semaines, la récolte ne devrait pas atteindre la moitié des prévisions», estiment des experts.
Manque de bléSelon les modèles de prévisions du département des Finances, une récolte céréalière qui se réduit de 40 millions de tonnes correspond à la perte systématique de 1 point de croissance, sans compter les effets induits par la baisse du PIB agricole sur la valeur ajoutée non-agricole, ni les retombées catastrophiques sur le pouvoir d'achat, déjà modeste, dans le monde rural.
Le taux de croissance escompté de 3,2% -déjà inférieur à la moyenne de 4% promise dans le programme gouvernemental- n'est donc plus d'actualité. «Il a déjà été remis en cause par les prévisions du HCP et de Bank Al-Maghrib qui devraient encore baisser leurs projections, vu la conjoncture, qui devient de plus en plus défavorable», précise cet économiste.
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Autre prévision budgétaire qui vole en éclat: le déficit budgétaire. Alors que Nadia Fettah Alaoui misait sur un écart entre les dépenses et les recettes, limité à 5,9% du PIB, ce déficit risque de se creuser davantage sous l'effet de manques à gagner ou de dépenses extraordinaires imposés par la situation des marchés mondiaux. «La décision de suspendre temporairement les droits de douane sur le blé tendre implique un manque à gagner de quelque 500 millions de dirhams», explique une source proche du département des Finances. A cela, s’ajoute l'effet induit par le plan anti-sécheresse de 10 milliards de dirhams qui sera principalement supporté par le Fonds Hassan II et le Crédit Agricole, qui reverse des dividendes à l'Etat.
Le budget sera également fortement sollicité pour la subvention directe du prix du pain. Le cours mondial des céréales qui s'envole dans le sillage de la guerre entre la Russie et l'Ukraine forcera les pouvoirs publics à mettre bien plus que le 1,5 milliard de dirhams débloqués l'année dernière pour garder le prix du pain inchangé. «L'effort financier de l'Etat, depuis novembre dernier à ce jour, frôle le milliard de dirhams», a déclaré le porte-parole du gouvernement. Et cela ne constitue qu'une petite part des charges de la compensation qui risquent d'exploser cette année, si la tension sur les marchés mondiaux perdure.
Flambée des subventions«La Trésorerie générale a pris coutume, ces cinq dernières années, de retarder les versements à la caisse de compensation jusqu'au mois de février. Cette année en revanche, elle a dû débloquer plus de 5 milliards de dirhams dès le premier mois de l'année. C'est révélateur de la pression que subit le budget de l'Etat en matière de subvention», explique un analyste sur le marché obligataire. Pis encore, les 5,4 milliards de dirhams débloqués en janvier 2022 représentent 32% de l'enveloppe dédiée à la caisse de compensation, déjà gonflée dans les prévisions de Loi de Finances à 17 milliards de dirhams.
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Ce montant ne risque donc pas de suffire si la pression sur la subvention de la bonbonne de gaz continue d'augmenter. Le prix du butane sur le marché international est quasiment le double du coût estimé dans le projet de loi de finances, fixé à 450 dollars la tonne. Sur les six premières semaines de cette année, il tourne autour de 850 dollars la tonne. A ce rythme, les charges de compensation de cette matière vont exploser, pour dépasser de loin les 10 milliards de dirhams dépensés l'année dernière pour subventionner ce produit.
«Le prix de vente de la bonbonne de gaz de 12 kg est figé à 42 dirhams depuis 1990, alors qu'elle coûte réellement dans les 130 dirhams», a expliqué la semaine dernière Fouzi Lekjaâ, ministre délégué au Budget. «Rien que pour maintenir le prix de l'électricité inchangé, le gouvernement doit soutenir l'ONEE à hauteur de 14 milliards de dirhams pour compenser l'envolée des cours internationaux», a ajouté son collègue Mustapha Baitas, ministre délégué auprès du chef du gouvernement.
Marges de manoeuvreLa pression est devenue telle que les rumeurs d'une hausse des prix de plusieurs produits subventionnés ont pris de l'ampleur. «Le gouvernement multiplie les sorties médiatiques pour rassurer [l’opinion publique] comme il le peut sur le soutien du pouvoir d'achat, mais ne donne aucune indication sur la provenance des ressources additionnelles à mobiliser», commente cet économiste.
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Pourtant, face à ces dépenses exceptionnelles, mais aussi au tarissement des ressources, le gouvernement n'a d'autres choix que de revoir ses priorités. Réduire le train de vie de l'Etat reste compliqué, sachant que plus des deux-tiers du budget est dédié au fonctionnement. «La seule marge de manœuvre sur cette composante du budget réside dans les nouveaux recrutements de fonctionnaires. Une partie des 26.000 postes budgétaires prévus par la loi de Finances pourrait être gelée, notamment sur les secteurs non stratégiques», explique ce même interlocuteur, qui ajoute qu’«il y a aussi les charges communes estimées à près de 28 milliards que l'on peut toujours rationaliser».
Mais où des «économies» seraient plus importantes, c'est au niveau du budget d'investissement. Le volume record annoncé à 245 milliards de dirhams est révolu. L'Exécutif avait d'ailleurs pris le soin, dans le cadre de la loi de finances, de se donner une marge de réduction de 15% sur cette enveloppe d'investissement. Et pour compenser la baisse des investissements publics, l'Exécutif cherche d'ailleurs à inciter le secteur privé à prendre le relais. Le chef du gouvernement a d'ailleurs récemment réuni le patronat et les banquiers afin de donner un coup de boost à l'initiative privée.
Last but not least, le gouvernement peut toujours laisser filer le déficit et recourir à l'endettement. Mais là encore, le Maroc va devoir payer le prix fort sachant qu'il a déjà largement puisé dans ce gisement au cours des deux dernières années de la crise sanitaire. Un déficit record n'est donc pas à exclure pour cette année 2022 et surtout la facture pour les années à venir risque d'être salée.