L'effondrement de la livre turque inquiète les opérateurs marocains du textile-habillement

La marque de prêt-à-porter turque LC Waikiki dispose de 34 magasins au Maroc.

La marque de prêt-à-porter turque LC Waikiki dispose de 34 magasins au Maroc. . DR

La dégringolade de la livre turque, qui secoue ces jours-ci les marchés financiers mondiaux, donne du fil à retordre aux opérateurs marocains du textile, exposés à une concurrence féroce de la part de leurs homologues turcs. Voici ce qu’en pense le président de l’Amith.

Le 15/08/2018 à 11h29

Nul besoin d’être économiste pour comprendre l’effet mécanique de la monnaie sur la compétitivité. L’effondrement de la livre turque (celle-ci a perdu 23% face au dollar en deux jours) se traduit directement par une baisse des prix à l’export des produits turcs. Pour les opérateurs marocains du textile, la Turquie, pays avec lequel le Maroc est lié par un Accord de libre échange (ALE), est un concurrent qui devient gênant aussi bien sur le marché domestique que sur celui de l’export. La chute de la livre peut être perçue comme une sorte de dévaluation appelée à doper la compétitivité des exportations turques. «Nous suivons l’évolution de la situation en Turquie avec beaucoup d’attention», reconnaît Karim Tazi, président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith), par ailleurs fondateur et PDG de Marwa.

La descente de la devise turque, effective depuis plus d’un an, bien avant la chute brutale observée cette semaine, a déjà effacé l’effet du rétablissement en janvier dernier des droits de douane, à hauteur de 22,5%, sur les importations des produits de textile et d’habillement en provenance de Turquie. Le prêt à porter turc n’a rien perdu de sa compétitivité, ni de son attractivité auprès des consommateurs marocains. Preuve en est le nombre de plus en plus croissant des points de vente ouverts par les enseignes turques dans plusieurs villes marocaines.

Ce qui préoccupe le plus le président de l’Amith, en dehors de cet effet mécanique d’ordre monétaire, ce sont surtout les pratiques malsaines qui faussent le jeu de la concurrence: dumping, subventions, etc. «Nous dénonçons ces pratiques quel que soit le pays d’origine», nuance M. Tazi. Il ne s’agit pas, insiste-t-il, de raisonner «produit marocain contre produit turc», mais plutôt «emploi marocain contre emploi turc». Voilà ce qui amène le président de l’Amith à penser que l’ALE Maroc-Turquie serait un accord «Win-Lose»: gagnant pour la Turquie et perdant pour le Maroc. Car la Turquie, en plus des droits de douanes favorables (grâce à l’ALE), bénéficie d’une série d’autres avantages auxquels s’ajoute la dépréciation monétaire et son effet dopant sur la compétitivité à l’export.

Face à ces mutations impactant la cartographie du commerce international, l’Amith inscrit son action dans une dynamique de défense commerciale, notamment en faisant appel à l’expertise juridique de grands cabinets d’avocats internationaux, avec l’appui des pouvoirs publics. Tous les moyens sont ainsi mobilisés pour défendre les conditions d’une concurrence loyale.

Quid du sort des mesures transitoires introduites par le gouvernement en janvier 2018 (rétablissement des droits de douane sur le prêt à porter turc)? Se dirigera-t-on vers une prorogation de ce dispositif limité dans le temps (cinq ans)? L’Amith voit dans ces mesures un signal destiné particulièrement aux opérateurs nationaux, une mise en garde contre d’éventuels importateurs «tricheurs». C’est aussi un geste de protection adressé aux investisseurs. Mais cela ne suffit pas pour éviter une éventuelle destruction massive d’emplois aux yeux du président de l’Amith: «Si on veut atténuer l’impact sur l’emploi, les investisseurs ont besoin d’une visibilité sur le moyen et le long terme». Autrement dit, ce ne sont pas des mesures transitoires qui vont redonner confiance aux investisseurs.

Sans le dire expressément et sans viser directement le pays d’Atatürk, Karim Tazi laisse insinuer que rien n’empêche de revoir l’ALE avec la Turquie, à l’instar de ce qu’a fait la Tunisie, la Jordanie et, dans une moindre mesure, le Liban qui interdit l’accès à plusieurs produits turcs. Le dernier exemple nous vient des Etats-Unis où le président Trump a autorisé, vendredi 10 août, le doublement des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en provenance de Turquie. Ces droits seront désormais de 20% sur l'aluminium et de 50% sur l'acier.

«Je viens juste d'autoriser le doublement des taxes douanières sur l'acier et l'aluminium en provenance de Turquie puisque leur monnaie, la livre turque, descend rapidement contre notre dollar fort», a affirmé Donald Trump dans un tweet.

Que ce soit la Turquie ou n’importe quel autre pays, l’essentiel, insiste Karim Tazi, c’est de protéger l’industrie nationale et l’emploi contre le dumping, les subventions et les pratiques frauduleuses. C’est d’ailleurs l’objet de la tournée des ministères menée ces derniers temps par l’Amith en vue de sensibiliser les décideurs sur la situation critique de la filière du textile.

Maintenant, au-delà des frontières, faut-il craindre une érosion de la part de marché revenant aux exportateurs marocains suite à la chute de la devise turque? Karim Tazi estime qu’il est encore tôt pour évaluer l’incidence de l’effondrement de la livre sur la compétitivité des produits «Made in Morocco», sans toutefois exclure le scénario d’une menace réelle, surtout que les exportateurs des deux pays (Maroc et Turquie) se partagent le même marché, celui de l’Europe. Malgré la concurrence acharnée des Turcs, le président de l’association des textiliens préfère rester optimiste, conforté par les belles performances réalisées ces deux dernières années. En effet, les exportations du secteur culminent à 36 milliards de dirhams à fin 2017, alors qu’elles n’ont jamais pu franchir le seuil de 30 milliards avant 2015. «Nous devons maintenir cet élan de croissance», conclut le président de l’Amith.

Par Wadie El Mouden
Le 15/08/2018 à 11h29