Au vu de la durée prise pour l’élaboration des orientations stratégiques de la politique actionnariale de l’État, pratiquement 4 ans, alors que dans d’autres pays cela a pris moins de quatre mois tout compris, il est permis de subodorer que l’accouchement fut laborieux. L’opération ayant demandé son lot de prévenances, semble-t-il, à l’égard des principaux concernés: les dirigeants des entreprises publiques.
Déjà contrariée de devoir fournir des explications de temps à autre à la Cour des comptes sur certains aspects de sa gestion, cette élite de l’élite a aussi marqué des réticences quant à d’éventuels partages d’expériences, quête de cohérence et exploitation de synergies au sein de cet ensemble économique de poids constitué par les entreprises et établissements publics. Non pas faute de la conviction que le partage est bénéfique aux institutions qu’elle gère: étant formée dans les grandes écoles de gestion, elle connaît ses retombées positives. C’est plutôt l’absence de l’envie pressante de sortir du confort de la culture dominante qui demeure la motivation. Au Maroc, le travail en silos est encore, hélas, une pratique courante chez la plupart de nos hauts cadres, utilisée comme une forme valorisante de manifestation de leur pouvoir.
Peut-on considérer que les nouveaux modèles économiques et de gouvernance adoptés par le Conseil des ministres, et dont la réalisation a été confiée à l’Agence nationale chargée de la gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE), vont sonner le glas des baronnies constituées au fil des décennies dans les entreprises publiques, tel que le titre de la chronique semble le suggérer? Rien n’est moins sûr en l’état actuel des choses. À moins d’une vigoureuse action de fond entreprise par l’ANGSPE, le changement n’est pas pour demain. Car les habitudes ont la peau dure et les zones de confort sont difficiles à délaisser.
D’autant, aussi, que la culture du travail en silos n’est pas propre aux entreprises publiques. Elle est consubstantielle d’un ensemble plus vaste: notre administration, qui a toujours répugné à la transversalité, à la diffusion d’une communication transparente et efficace et à la collaboration inter-départementale, au grand détriment de l’efficacité, de la réactivité et de l’innovation. Plusieurs rapports publics le confirment.
Initier un travail préalable, consistant à soustraire les 57 entreprises publiques qui rentrent dans son périmètre de la doxa ambiante dominée par l’approche silos, en centralisant et rendant plus fluide l’information les concernant, en établissant avec elles des stratégies claires et en utilisant des outils de collaboration, c’est cela que l’ANGSPE est invitée à faire. Ceci contribuera très certainement à plus de transparence et d’efficacité dans leur gestion et améliorera leurs performances, même dans un environnement global relativement cloisonné au niveau de l’information.
Une autre action possible à entreprendre de la part de l’ANGSPE consisterait à redéfinir les anciennes règles de bonne gouvernance en les structurant mieux et en les systématisant à l’ensemble des composantes de son portefeuille. Le retour aux classiques s’impose: fixation des objectifs de développement, recherche des profils adaptés à remplir les missions définies, évaluation des performances avec des ajustements en cours de route si le besoin s’en fait sentir. Ce qui suppose un important travail de sélection préalable à toute nomination aux responsabilités, afin d’éviter les surprises et garder une marge de flexibilité dans la révocation en cas d’incapacité à atteindre les objectifs.
Le changement de culture organisationnelle à opérer par l’ANGSPE aura à n’en point douter une incidence positive sur l’ensemble de l’administration marocaine, sa culture et son mode de fonctionnement. L’action pionnière et exemplaire menée par cette institution, en cas de réussite, pourra percoler à travers l’ensemble du système administratif et l’encourager à entamer sa mue.
La nouvelle mission dévolue à notre «élite de l’élite» transcende par sa portée la préservation du patrimoine, voire son développement. Elle interpelle son aptitude à moderniser la gouvernance d’un sous-ensemble économique, avec à la clé la possibilité de servir d’exemple pour moderniser notre administration dans sa globalité.
En construisant ce nouveau modèle, cette élite pourra se targuer devant l’histoire d’avoir contribué à l’avancée économique du Maroc et au renforcement de l’État de droit solide et fonctionnel que nous appelons tous de nos vœux.