En liquidation judiciaire depuis 2016, la SAMIR (Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage) a reçu plusieurs offres de reprise. Seul hic: toutes ces offres demandaient une aide étatique garantissant une part de marché et une limitation des importations, déplore une source au ministère de la Transition énergétique.
«La situation actuelle de la SAMIR est le résultat de deux décennies de mauvaise gestion et de non-respect de la convention avec l’Etat de la part de l’actionnaire (Mohamed Al Amoudi, patron de Corral Holding, ndlr). Accepter aujourd’hui les conditions voulues par les racheteurs reviendrait à créer une nouvelle rente», souligne notre interlocuteur. Ce dernier rappelle que le rôle de la tutelle est de réguler le secteur et d’apporter des solutions techniques, notamment au niveau de la reconversion du site, du stockage, de l’impact environnemental de la raffinerie et de la sécurité des installations.
De l’autre côté, dans son litige avec au Maroc, le groupe Corral, actionnaire majoritaire de la SAMIR, réclame une compensation de 27 milliards de dirhams auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), montant confirmé par la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, lors de son passage à la Chambre des représentants en mai dernier. La ministre a également indiqué que les dettes cumulées par la SAMIR culminent à plus de 30 milliards de dirhams, dont environ 12 milliards de dirhams dus à l’Etat marocain et pas moins de 2 milliards de dirhams à la Banque Centrale Populaire.
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Alors que le dossier suit son cours entre les mains de la justice, la raffinerie de Mohammedia s’est retrouvée propulsée comme un possible salut face à la flambée des prix du carburant. Une perception qui reste très controversée à ce jour. «Cette vision est simpliste et masque la complexité de ce dossier», souligne cet économiste, spécialiste du secteur.
En effet, la capacité de raffinage de la SAMIR reste relativement petite par rapport aux benchmarks internationaux, élabore-t-il, évoquant l’exemple des raffineries espagnoles, françaises, turques ou du Moyen-Orient qui font jusqu’à 4 fois la taille de l’unité de Mohammedia. Cela pose la question de la compétitivité de la SAMIR sur le marché international, qui est ultra-concurrentiel. Ajoutez à cela l’état des équipements de la raffinerie, plus de 7 ans à l’arrêt sans maintenance. «La remise à niveau de la raffinerie devrait nécessiter l’injection de plusieurs milliards de dirhams», fait savoir notre expert.
Quel impact sur les prix à la pompe?
Même en supposant que la SAMIR est aussi performante que ses concurrents et que le redémarrage est techniquement possible et financièrement viable, le nouveau propriétaire privé devrait s’aligner à son tour sur les prix du marché international du pétrole. «Un investisseur privé n’a pas d’intérêt à vendre à un prix préférentiel sur le marché national, la différence se limiterait ainsi au coût du transport, le Conseil de la concurrence dit exactement la même chose.»
Rappelons qu’en septembre 2022, le Conseil de la concurrence avait souligné la difficulté de se prononcer sur l’opportunité de maintenir et de développer une activité de raffinage au Maroc. Une difficulté inhérente à «la structure des prix telle qu’appliquée du temps où l’unique raffinerie du pays était en activité, et en l’absence de données sur ses coûts réels de raffinage, de ses coûts de revient, de ses marges et sa rentabilité», lit-on dans l’avis de l’institution présidée par Ahmed Rahhou.
La SAMIR, rappelle l’expert, ne facturait pas ses produits raffinés aux sociétés de distribution sur la base de ses coûts de production mais sur la base d’une formule qui lui garantissait un prix de vente sortie raffinerie égal à celui des produits raffinés importés.
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«Le prix de cession à la sortie de la raffinerie était calculé sur la base de la cotation Platts FOB du gasoil et de l’essence cotés à la Bourse de Rotterdam, majorée des frais d’acheminement jusqu’au port de Mohammedia, des frais d’assurance, des taxes portuaires, de la TIC et de la TVA, et non pas sur la base du coût de production et de raffinage de la SAMIR. En réalité, seules les subventions supportées par le budget général de l’Etat permettaient de maintenir les prix de vente du gasoil et de l’essence à des niveaux jugés acceptables», ajoute-t-il.
La question de la flambée des prix des carburants ne dépendrait donc pas directement du raffinage. Le marché de distribution, comme déjà pointé par le Conseil de la concurrence, souffre de plusieurs dysfonctionnements qui rendent sa restructuration plus complexe.
Un choix de société
Au-delà de l’impact sur le marché des carburants au Maroc, le redémarrage (ou pas) de la SAMIR soulève également des interrogations sur la politique de subvention à adopter pour soutenir le pouvoir d’achat des citoyens. Le gouvernement devra donc choisir entre une aide directe visant les citoyens les plus défavorisés, ou une politique généraliste, par l’injection de fonds publics dans la raffinerie, pour maintenir des prix de vente des carburants à la pompe accessibles à tous, quel que soit leur revenu.
«C’est un choix de société. Est-ce qu’on veut mettre de l’argent public pour subventionner les carburants et soutenir indistinctement tous les propriétaires de véhicules, quel que soit leur statut social, c’est-à-dire les propriétaires de 4x4 au même niveau que les conducteurs de triporteurs? Ou alors on fait le choix de prioriser le soutien aux secteurs sociaux tels que l’éducation ou la santé», martèle cet économiste.
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Notons au passage que depuis mars 2022, le gouvernement a lancé une dizaine de vagues d’aides directes aux professionnels du transport, mobilisant plus de 5 milliards de dirhams, dans l’objectif de préserver le pouvoir d’achat des ménages face à la flambée du prix du diesel.
L’enjeu climatique devrait également être pris en considération. Alors que de plus en plus de raffineries ferment à travers le monde, le redémarrage de la SAMIR impacterait fortement l’atmosphère de la ville de Mohammedia, à cause notamment du refus de l’ancien actionnaire d’investir pour mettre à niveau les installations aux normes de pollution internationales, déplore cet ancien ministre de l’Énergie.
Et d’ajouter: «Pendant des années, le propriétaire de la SAMIR a refusé de faire les investissements nécessaires pour mettre à niveau la raffinerie en termes de qualité des produits. La raffinerie a longtemps empoisonné les Marocains avec un diesel à très forte teneur en soufre, environ 10.000 ppm (partie par million), alors que le diesel importé aujourd’hui contient seulement 10 ppm».