La crise induite par la pandémie de coronavirus fait planer le spectre de la déflation de l’économie nationale, c’est-à-dire d’une baisse durable du niveau général des prix.
Dans sa dernière livraison, le haut commissariat au Plan (HCP) prévoit en effet une baisse du niveau général des prix en 2020 de l’ordre de -0,4%, au lieu d’une hausse de 1,3% l’année précédente.
Une situation qui s’explique, entre autres, selon le HCP, par «le fléchissement des cours des matières premières, conjugué à un recul de la demande».
A première vue, cette baisse des prix des biens et services est bienvenue pour les ménages, puisqu’elle leur procure, en théorie, un gain de pouvoir d’achat. Mais tous les économistes sérieux vous diront le contraire. En réalité, une telle diminution des prix, si elle venait à se prolonger dans le temps, engendrerait des effets néfastes pour l’économie.
En effet, l’une des caractéristiques de la pression déflationniste est qu’elle provoque des réactions attentistes de la part des agents économiques.
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Ainsi, pour les ménages, la déflation est une incitation à différer leurs achats et leur consommation dans l’espoir de la poursuite d’une baisse des prix.
Cette baisse de la demande engendre alors une baisse de la production des entreprises, couplée à une contraction de leur marge et des investissements. Les entreprises cessent alors de se développer et de recruter.
Face à la perspective d’une hausse du chômage (les pertes d’emploi atteindraient 712.000 postes sur l’ensemble de l’année 2020, selon le HCP) ou d'un salaire qui n'augmente plus, les ménages dépensent toujours moins et les entreprises sont contraintes de maintenir leurs prix toujours plus bas. C’est ce qu’on appelle la spirale déflationniste, ou cercle vicieux de la déflation, dont il est très difficile de sortir.
Le Maroc n’en est pas encore là, fort heureusement, mais la vigilance doit-être de mise. «Pour bien apprécier la dynamique des prix, il faut se référer à l’inflation sous-jacente, qui neutralise les effets des prix les plus volatiles. En faisant cela, on se rapproche d’une inflation proche de zéro. Toujours est-il que cet indicateur montre que nous sommes bien dans une crise économique sérieuse», explique Yasser Tamsamani, économiste affilié à l'OFCE, enseignant à la faculté de Droit de Casablanca.
Aujourd’hui, pour les banques centrales, et en particulier pour Bank Al-Maghrib, empêcher la récession de tourner à la déflation devient un enjeu majeur.
Car outre ses effets néfastes sur la psychologie des agents économiques, la déflation est difficile à combattre par les autorités monétaires.
«Une fois que la déflation s’installe, la politique monétaire n’a plus aucune emprise sur les prix. Il suffit de voir le cas du Japon qui fait face à une situation de déflation depuis plus de 20 ans, malgré les efforts de la banque du Japon», souligne Yasser Tamsamani. De ce point de vue, la déflation apparaît comme le cauchemar des banques centrales.
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Un autre effet pervers de la baisse durable des prix, est qu’elle pénalise les agents économiques endettés (entreprises, Etats, ménages, etc.), dans la mesure où le coût de leur dette augmente avec la baisse de l’indice général des prix.
Comme cela a été dit, nous n’en sommes pas encore là. Les mesures prises par le gouvernement et la banque centrale devraient logiquement occasionner une reprise à la hausse de l’indice des prix à la consommation dès 2021. Le HCP prévoit d’ailleurs une légère hausse de l’inflation de 1,2% en 2021, grâce notamment à une reprise de la demande intérieure.
Toutefois, ce redressement attendu des prix reste tributaire de plusieurs paramètres, comme la fin de la pandémie du Covid-19 en décembre 2020, ou encore l’évolution des prix des matières premières et de la demande mondiale adressée au Maroc.
Mais au bout du compte, l’élément clé pour éviter de tomber dans le piège de la déflation réside dans la psychologie des agents économiques: s’ils se mettent, dans la durée, dans une position de «wait and see», faute de visibilité et de confiance dans l’avenir, le cocktail «contraction du PIB/prix à la consommation trop bas» pourrait devenir problématique. A charge pour le gouvernement et les autorités en charge des politiques monétaires de leur envoyer les bons signaux.