La monnaie turque n’en finit pas de dévisser. Hier, mardi 27 octobre, la livre turque a plongé à son plus bas historique, s’échangeant désormais à plus de 8 dollars. Depuis le début de l’année, la livre turque s’est dépréciée de plus de 25%, soit la deuxième plus forte baisse parmi les pays émergents, derrière le real brésilien.
Selon l’agence Reuters, l’accélération de la baisse ces derniers jours survient après que la Banque centrale turque a refusé, la semaine dernière, d’augmenter les taux d’intérêt, sous la pression du président Erdogan.
Cette baisse survient également sur fond de tensions diplomatiques et géopolitiques entre Ankara et plusieurs pays européens, principalement la France.
La dégringolade de la livre turque ne date pas de la crise du Covid-19. La monnaie se dépréciait déjà régulièrement par rapport au dollar bien avant que la pandémie de coronavirus ne frappe. Une politique monétaire assumée par le président turc, dans le but d’augmenter la compétitivité de l’offre exportable du pays, quitte à laisser courir l’inflation (+12% en 2020).
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Reuters rappelle ainsi que la valeur de la livre turque a été divisée par deux depuis la fin de 2017. Début 2018, un dollar n’achetait que 3,77 livres, et les analystes prédisent que ce chiffre pourrait atteindre 8,5 voire 9. Autrement dit, une stabilisation de la monnaie turque n’est pas à l’ordre du jour.
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Ce dumping monétaire n’est évidemment pas sans impact sur les relations commerciales entre le Maroc et la Turquie, puisqu’il creuse davantage l’écart de compétitivité entre les deux pays, au profit de la Turquie, comme l’a souligné récemment pour Le360 Fatima-Zahra Aloui, DG de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith). «Associé aux subventions de l’Etat, la dévaluation continue de la monnaie turque depuis 2 ans vous donne un produit qui arrive sur le marché marocain à un prix défiant toute concurrence», a-t-elle expliqué.
Face à cette situation, le gouvernement marocain a validé, le 8 octobre dernier, un projet de loi amendant l’Accord de libre-échange Maroc-Turquie scellé en 2004. Une liste négative de plus de 1.200 produits, correspondant à 630 positions tarifaires, relevant des secteurs du textile-habillement, du cuir, de la métallurgie, de l’électricité, du bois et de l’automobile, a été adoptée. Le nouvel accord prévoit l’application d’un droit de douane équivalent à 90% du droit commun. Autrement dit, si un produit est taxé à 40% à l’import en droit commun, ce même produit sera taxé à 36% de droits de douane s’il est importé de Turquie. Ces nouveaux tarifs sont valables pour une période de 5 ans.
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Pour l’économiste Yasser Tamsamani, ces mesures de protection prises par le Maroc arrivent à point nommé pour contrer les effets de la dépréciation de la livre turque. «Si le Maroc n’avait pas pris ces mesures protectionnistes, la baisse actuelle de la monnaie turque aurait provoqué des impacts beaucoup plus graves sur le tissu productif marocain», avance-t-il.
En revanche, une poursuite de la dépréciation de la monnaie turque, comme semblent l’anticiper les investisseurs, pourrait, à terme, compenser la hausse des droits de douane décrétée par le Maroc.
En outre, sur les marchés où les produits turcs et les produits marocains sont en concurrence, notamment en Europe, la baisse de la livre procure un avantage certain aux premiers, les seconds étant plus chers.
Une dépréciation du dirham serait-elle la solution? Le processus de flexibilisation du dirham entamé par les autorités monétaires est d’ailleurs souvent présenté comme une réforme qui doit permettre de se prémunir contre les chocs externes et permettre aux exportations marocaines de gagner en compétitivité.
Pour Yasser Tamsamani, une telle option serait contre-productive. «Une dépréciation du dirham se traduira par une augmentation des coûts des importations sans que les exportations ne deviennent plus compétitives», soutient-il, eu égard, d’une part, au manque de diversification de l’offre exportable marocaine et à sa faiblesse en contenu technologique et, d’autre part, à la nature incompressible des importations du Royaume.
La compétitivité des produits marocains passera plutôt par un renforcement de l’industrie, une diversification des débouchés, une réduction des coûts de production, une augmentation de la valeur ajoutée exportée, une amélioration de la productivité, l’innovation… Autant de défis que le Maroc devra relever au sortir de la crise.