La production pour l’exportation de l’hydrogène vert dans les pays en développement, tel le Maroc, peut apporter des avantages structurels notables. Toutefois, un tel positionnement doit être bien réfléchi pour prévenir certains risques.
C’est ce qui ressort d’un nouveau rapport intitulé «Green hydrogen strategy. A guide to design» (Stratégie de l’hydrogène vert. Un guide de conception), publié par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA).
Le premier risque identifié par l’agence a trait aux bases sur lesquelles sont fondées les stratégies d’hydrogène vert orientées vers l’exportation. Les auteurs de ce document de 127 pages relèvent que cette orientation repose sur trois principales justifications.
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La première est la demande exprimée par les pays développés. Les objectifs d’importation tels que ceux de l’Allemagne et du Japon sont explicitement mentionnés dans les stratégies d’hydrogène vert, comme c’est le cas pour le Maroc, note le document.
La deuxième justification provient des analyses de marché réalisées par des organisations internationales de renom, telles que l’IRENA et l’Agence internationale de l’énergie (AIE). La troisième est que les stratégies d’hydrogène peuvent avoir leurs propres projections internes des marchés d’exportation attendus ou s’appuyer sur des tiers.
Or, soulignent les experts d’IRENA, alors que de nombreux pays en développement adoptent des stratégies axées sur l’exportation de l’hydrogène, appuyées par divers protocoles d’accord, la forte croissance attendue du marché mondial de l’hydrogène n’est pas une certitude.
Les facteurs qui peuvent affecter la demande réelle
L’évolution des situations géopolitiques, les ambiguïtés réglementaires et les nouvelles technologies concurrentes pourraient profondément affecter la demande réelle et la croissance des exportations d’hydrogène, préviennent-ils.
De plus, le rapport considère que les prévisions existantes concernant le potentiel d’importation d’hydrogène suivent souvent un récit conventionnel, reflétant généralement la dynamique mondiale existante (industries du nord global, ressources du sud global).
Ainsi, au cas où ces prévisions ne se réalisent pas, les exportations ne se matérialisent pas comme prévu, ce qui se traduit par l’absence de revenus escomptés et d’investissements ultérieurs, expliquent les auteurs. In fine, le déploiement de la stratégie d’hydrogène subit un coup d’arrêt.
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Sachant que ce secteur nécessite d’importants investissements. En fait, rapportent l’étude, la stratégie marocaine dans ce domaine reconnaît que pour démarrer l’exportation d’hydrogène, des investissements supplémentaires seront nécessaires dans les infrastructures: pipelines et stations de ravitaillement en hydrogène vert, l’adaptation du pipeline existant Maghreb-Europe, ainsi que l’extension et l’adaptation de l’infrastructure portuaire actuelle.
Autre risque important à prévenir, selon le rapport d’IRENA: en se concentrant principalement sur la satisfaction de demandes externes spécifiques, les pays en développement peuvent négliger l’exploration des marchés intérieurs ou régionaux, ainsi que les voies potentielles d’innovation technologique et de création de valeur à l’intérieur de leurs propres frontières.
À ce sujet, le rapport cite le Maroc et la Namibie comme de futurs grands acteurs potentiels dans le domaine des énergies renouvelables qui ont de grandes ambitions en matière d’exportation de l’hydrogène vert.
La priorité pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
Cette transition, bien que prometteuse, nécessite une réflexion approfondie pour éviter les scénarios dans lesquels les plans d’hydrogène vert détournent le capital financier et politique de la décarbonisation des utilisations énergétiques locales ou des opportunités d’amélioration de l’accès à l’énergie.
Saïd Guemra, expert-conseil en management de l’énergie, interrogé par Le360 à ce sujet, étaie cette analyse. «Les projets d’hydrogène sont très capitalistiques et peuvent détourner des moyens très importants, qui auraient pu décarboner plus facilement certains secteurs, grâce à l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. La production de l’hydrogène doit être l’une des étapes de décarbonation qui intervient en fin de cycle», soutient-il.
«Le Maroc, grâce à ses ressources en vent et soleil, est très bien positionné pour jouer un rôle capital dans la production de l’hydrogène, avec un potentiel de 9% à l’échelle mondiale, mais il ne doit pas rentrer trop tôt», en raison de l’impact négatif de la production d’hydrogène sur les énergies renouvelables, explique-t-il.
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Notant que le Maroc, avec son offre, permet aux investisseurs de s’installer et de produire, l’expert souligne que la priorité du pays pour le moment doit être les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, et l’hydrogène doit être «en fin de parcours, avec une maturité technique obligatoirement acquise».
Pour faire face à ces risques, l’IRENA estime qu’adopter une approche polyvalente et adaptative, qui prend en compte une série de possibilités et qui est ouverte aux ajustements en réponse à l’évolution de la dynamique du marché, est essentiel pour les pays en développement.
Cette stratégie, développe-t-elle, permettra à ces pays de mieux gérer les incertitudes et d’exploiter les opportunités potentielles qui pourraient ne pas correspondre au récit conventionnel. La dépendance aux exportations doit être complétée par des efforts visant à favoriser la demande intérieure et le développement des infrastructures, ajoute-t-elle.
Il faut s’assurer d’avoir des acheteurs garantis
Assurer un secteur de l’hydrogène plus résilient et durable, et surveiller en permanence les tendances du marché mondial, aide à adapter les stratégies à l’évolution du paysage, garantissant que le secteur de l’hydrogène reste robuste et adaptable au changement, poursuit-elle.
À cet effet, les auteurs du rapport indiquent que le concept de risque d’achat est très important. Les pays qui se concentrent sur l’exportation d’hydrogène doivent s’assurer d’avoir des acheteurs garantis ou établir une «demande d’ancrage» pour atténuer les risques associés à la dépendance à l’égard des exportations.
Cette demande d’ancrage offre non seulement une sécurité aux investisseurs locaux, mais garantit également la création d’un secteur de l’hydrogène dans le pays qui soit moins dépendant de la dynamique du marché international, conclut le rapport international.