«Pas de visibilité», «instabilité», «fragilisé»… Voici les mots souvent cités ces derniers temps dès qu’est évoqué le secteur avicole marocain. Un secteur qui cumule 13,7 milliards de dirhams d’investissements, génère un chiffre d’affaires de 27,4 milliards de dirhams et compte 140.000 emplois directs et 320.000 indirects.
Autrefois, une des activités agricoles les plus dynamiques du pays, le secteur a subi des coups consécutifs ralentissant son évolution. Aujourd’hui, les opérateurs craignent que la fin du tunnel ne soit encore loin. «Nous n’avons aucune visibilité quant aux évolutions que connaîtra le secteur dans les mois à venir», explique Chaouki Jirari, directeur de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole au Maroc (FISA).
La production du secteur, qui enregistrait une moyenne de croissance annuelle estimée à 6%, a ainsi été freinée par la crise de Covid-19. Jusqu’à présent, la production n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant 2019, regrette notre interlocuteur indiquant qu’entre 2020 et 2021, celle-ci n’a évolué que de 1%.
«La pandémie a cassé le secteur et les prix avaient énormément baissé. Les aviculteurs ont perdu beaucoup d’argent. Il y a ceux qui ont arrêté la production parce qu’ils ont carrément fait faillite, et ceux qui ont réduit la production», explique le directeur de la FISA. De ce fait, l’offre n’est pas uniquement en diminution par rapport aux années précédentes, elle reste significativement inférieure à la demande nationale.
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Les aviculteurs se sont également heurtés à d’autres difficultés, dont notamment la hausse des cours de certains produits comme le maïs et le soja, la base de l’alimentation des volailles. «Les prix élevés des matières premières, notamment du maïs et du soja qui sont les composantes principales et représentent entre 80% et 85% de la composition alimentaire des volailles, font énormément grimper le prix de revient des producteurs», déplore Chaouki Jirari.
Par ailleurs, la cherté des matières premières sur le marché international est encore amplifiée par le taux de change du dollar qui a augmenté de «manière incroyable», tirant vers le haut le coût de production et amincissant davantage les marges de bénéfices.
Selon le directeur de la Fédération, le prix de vente à la ferme dans la région de Casablanca se situe aux alentours de 16 à 16,5 dirhams le kilogramme, soit exactement le prix de revient compte tenu de cette hausse du coût de production. «On est sur des prix de revient qui sont très élevés, et donc il ne faut pas croire que suite à ces augmentations des prix, ce sont les éleveurs qui en ont bénéficié», ajoute-t-il, soulignant que le prix des volailles augmente par la suite en passant par les différents intervenants de la chaîne de valeur et ce, jusqu'à leur arrivée sur les étales.
Qu’en est-il des consommateurs ?«La viande des pauvres n’est plus aux pauvres». C’est par ces mots que le président de la fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), Bouazza Kherrati, résume la situation des consommateurs marocains qui se retrouvent aujourd’hui confrontés à la hausse du prix des volailles. «La hausse des prix de ces viandes a touché directement le pouvoir d’achat du consommateur marocain. Pour les producteurs, tous les moyens sont bons pour justifier cette hausse», dénonce-t-il.
Selon le président de la FMDC, si les cours de certaines matières premières ont augmenté sur le marché international ces derniers mois, actuellement les prix des volailles devraient connaître une diminution, car ces mêmes matières connaissent à leur tour une tendance baissière.
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Même son de cloche chez Ouadi Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC) qui estime que la cherté des viandes blanches touche tout d’abord les classes les plus démunies, vu qu’il s’agit d’une «viande de substitution pour les consommateurs n’ayant pas les moyens de s’offrir de la viande rouge qui a toujours été plus chère». Cette réalité laisse le consommateur devant une situation où il n’a plus le choix, estime le président de la FNAC.
«Nous ne sommes pas uniquement face à une augmentation générale des prix, mais nous sommes aussi face à certains professionnels qui veulent profiter de cette situation où le consommateur n’a pas de choix, pour augmenter leurs marges bénéficiaires, d’autant plus que c’est un marché où les prix sont autorégulés», dénonce Ouadi Madih qui estime que si la hausse des prix des volailles se maintient, le citoyen marocain pourrait être amené à abandonner ces aliments.
«Vous pensez que le consommateur marocain a comme premier souci de préparer un plat équilibré? Une grande partie des Marocains a comme premier objectif de juste se remplir le ventre et avoir de quoi subsister en s’adaptant aux prix du marché», déplore-t-il enfin.
Peut-on espérer un retour à la normale pour bientôt?La question se pose, voire s’impose: jusqu’à quand les Marocains devront-ils endurer cette hausse des prix? Interrogé par Le360, le directeur de la FISA répond que tout dépendra de l’évolution du marché. Une évolution sur laquelle les opérateurs du secteur n’ont «aucune visibilité», selon Chaouki Jirari qui souligne que plusieurs éleveurs «attendent pour savoir s’ils vont réinvestir ou bien changer d’activité».
Et d’ajouter: «On comprend le souci du consommateur qui ne veut pas subir cette hausse des prix, notamment d’un produit qui est consommé par tous et qu’il risque de ne pas avoir les moyens de s’offrir. En fin de compte, si le pouvoir d’achat du consommateur n’était pas si fragilisé, on n’aurait même pas eu cette discussion».