Le circuit de commercialisation des fruits et légumes au Maroc se caractérise par sa complexité et la multitude des intervenants. Ramasseurs, collecteurs, courtiers, grossistes, semi-grossistes, détaillants… en quittant la ferme, ces produits agricoles passent par plusieurs acteurs avant d’arriver au consommateur final.
À chaque étape de ce processus, le prix augmente graduellement, car chacun des intervenants cherche à réaliser sa propre marge. Logique. Résultat? Aux deux bouts de cette chaîne, un agriculteur qui vend «à perte» et un consommateur qui paye «trop cher» pour se procurer ces denrées.
Jusqu’à 40% de plus avant de quitter le marché de gros
Contacté par Le360, Abderrazak Chabi, secrétaire général de l’Association du marché de gros des fruits et légumes de Casablanca (AMGFLC), tente d’expliquer cette équation difficile dans laquelle, selon lui, agriculteurs, grossistes et consommateurs sont «perdants», en donnant l’exemple des carottes.
«À la ferme, les carottes sont achetées à 1,80 dirham le kilogramme. Arrivées au marché de gros, elles coûtent généralement 2,5 dirhams, ce qui est tout à fait normal, compte tenu des charges de transport, de la main-d’œuvre, des différentes taxes payées à l’entrée du marché du gros en plus de la marge de gain du grossiste», explique cet interlocuteur.
Jusqu’ici, tout est «normal», affirme-t-il. Pour autant, si le kilogramme de carottes est vendu à 2,5 dirhams au niveau du marché de gros, comment se fait-il que le consommateur l’achète à 5 voire 6 dirhams dans les marchés de proximité?
Selon le secrétaire général de l’AMGFLC, c’est après cette «première vente» que le prix commence à enfler. «Ces intermédiaires, qui ont acheté cette carotte à 2,5 dirhams le kilogramme, vont par la suite la revendre jusqu’à 4 dirhams au détaillant», fait-il savoir, soulignant qu’«un produit peut être revendu jusqu’à quatre fois, avant de quitter le marché de gros».
Ces opérations de revente qui meublent la chaîne de commercialisation contribuent ainsi à la hausse des prix des fruits et légumes. Ainsi, d’après notre interlocuteur, «le prix d’un produit peut augmenter de 40% avant même de quitter le marché de gros».
«Quand le détaillant va acheter ce produit, il va à son tour augmenter le prix pour y inclure ses différentes charges et garder une marge de bénéfice», poursuit Abderrazak Chabi. Là encore, tout dépendra de l’offre et de la demande et de l’endroit où cette marchandise sera vendue.
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Revenant aux carottes: «Le consommateur final peut donc acheter cette même carotte à un prix qui atteint jusqu’à 6 dirhams le kilogramme», indique Abderrazak Chabi. Alors que l’agriculteur vend à un prix qui permet à peine de couvrir ses charges, que le grossiste réalise une marge de gain n’atteignant souvent pas 1 dirham par kilogramme et que le citoyen achète à un prix trois fois voire quatre fois plus cher que le prix réel, qui profite réellement de cette opération? «Les intermédiaires», répond le secrétaire général de l’AMGFLC, sans mâcher ses mots. Ceux-ci «encaissent les gains sans rien payer ni à l’Etat, ni au Marché de gros», tonne-t-il.
«Loi du marché»
Le son de cloche est tout à fait différent chez Abdelali El Jermati, chef du service Contrôle des prix au marché de gros de Casablanca, contacté par Le360. Ce dernier indique que les prix des fruits et légumes sont soumis à la loi de l’offre et de la demande, et que l’intermédiation n’influe d’habitude que légèrement sur ces cours, son impact est encore moindre dans la conjoncture actuelle.
«L’intermédiation n’influe pas réellement sur les prix des fruits et légumes. En effet, c’est l’un des secteurs où les intermédiaires n’ont quasiment rien à gagner», insiste-t-il.
Et d’étayer: «Il se peut que les intermédiaires interviennent dans d’autres marchés, mais dans le marché des fruits et légumes, le risque de perte est élevé et il y a très peu de gain à tirer». Ce risque incombe à la qualité périssable de ces denrées, ainsi qu’à la fluctuation des prix suivant la logique de l’offre et de la demande.
Le marché des fruits et légumes n’offrirait pas beaucoup de possibilités pour les gloutons de réaliser un surplus. Selon cet interlocuteur, les marges réalisées actuellement par les grossistes et semi-grossistes oscillent entre 0,5 et 0,6 dirham par kilogramme. «Dans la situation actuelle, aucun des intervenants au niveau du marché de gros ne gagne plus d’un dirham par kilogramme», insiste-t-il.
Ainsi, comme l’explique ce responsable, si la nature du marché des fruits et légumes ne permet à la base pas une grande marge de manœuvre aux intermédiaires, la conjoncture actuelle rendrait les choses encore plus compliquées.
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À l’instar de l’ensemble des commerçants, les grossistes, semi-grossistes et détaillants sont à la recherche du gain, rappelle Abdelali El Jermati, soulignant que comme dans tous les marchés, il y a toujours un risque de perte à supporter. Pour élucider davantage la nature du marché des fruits et légumes, cet interlocuteur donne l’exemple de la pomme de terre.
«Certains grossistes vont acheter la pomme de terre sur pied à 2,5 dirhams. S’il y a une forte demande sur ce légume ou que l’offre est limitée, ce dernier va réaliser des gains importants, car le prix peut augmenter jusqu’à 5 ou 6 dirhams. En revanche, s’il arrive au marché et qu’il y a de la pomme de terre partout ou que personne ne s’y intéresse, il va vendre sa marchandise à perte».
Baisse générale et augmentation des coûts
Dans les conditions actuelles, il y a une baisse générale de la production, en plus d’une augmentation des coûts de celle-ci. Selon le responsable au Marché de gros de Casablanca, «cette hausse des prix est due en premier lieu à la sécheresse qui a impacté la production. Cette année, nous avons enregistré une baisse de 17% du tonnage, par rapport à l’année dernière».
En outre, «les coûts de production ont beaucoup augmenté. Et donc, déjà les fruits et légumes coûtent plus cher chez l’agriculteur. D’autre part, les coûts du transport ont, à leur tour, connu une hausse. Par conséquent, les fruits et légumes sont plus chers, avant même leur commercialisation», nuance le responsable, donnant encore l’exemple de la pomme de terre qui actuellement «coûte sur les champs 4 à 5 dirhams».
Face à cette offre en baisse, la demande se maintient, voire augmente. «Un autre facteur qui contribue à cette hausse des prix est l’export. Le marché européen fait souvent appel à l’offre marocaine pour combler ses besoins. Cela signifie que l’offre sera moins abondante sur le marché local, d’où la hausse des prix», explique-t-il encore.
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Un avis partagé par le représentant des grossistes, Abderazzak Chaâbi: «C’est une équation normale et tout à fait légitime, car si le grossiste achète un produit et que l’offre est abondante, il va le vendre à un prix réduit, voire à perte. Dans le cas contraire, il peut augmenter sa marge. De même, le semi-grossiste va revendre les quantités achetées avec une marge», indique-t-il.
Néanmoins, ce qui «n’est pas normal», selon cet interlocuteur, «c’est que ce produit soit revendu plusieurs fois et que chaque revendeur ajoute sa part de bénéfice, en disant qu’il a lavé le produit ou l’a arrangé dans des cageots. Alors qu’en réalité, ces intermédiaires ont des charges réduites à minima et ne payent aucune taxe».
Et de conclure: «Le problème se pose quand il y a déjà une hausse des prix comme c’est le cas actuellement, et que le produit coûte cher à la ferme. Il est absurde que ce produit soit vendu et revendu et que le prix soit augmenté à chaque fois pour atteindre des niveaux incroyables».