Dispositif d’appui aux TPME: ce qui reste à faire, selon l’expert Zakaria Fahim

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Le nouveau mécanisme d’appui aux TPME, désormais pleinement opérationnel, marque une importante avancée, mais son impact réel dépendra de réformes complémentaires: élargissement de l’éligibilité, modernisation des outils de financement, simplification administrative, accélération des décaissements et intégration des TPE, des auto-entrepreneurs et des entités informelles, avertit l’expert Zakaria Fahim.

Le 20/11/2025 à 10h44

Le dispositif d’appui aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPME), instauré par la Charte de l’investissement, entre désormais dans sa phase d’application. Il cible les entreprises marocaines générant entre 1 et 200 millions de dirhams (MDH) de chiffre d’affaires (CA), à l’exclusion des entités publiques et des filiales de grands groupes.

Son architecture repose sur trois primes cumulables -à l’emploi, territoriale et sectorielle- pouvant couvrir jusqu’à 30% de l’investissement éligible. Ce soutien vise à encourager la création d’emplois, l’implantation dans les territoires et le développement des secteurs jugés prioritaires.

Les projets doivent porter sur des montants compris entre 1 et 50 MDH et comporter au moins 10% de financement en fonds propres, tout en respectant des ratios d’emploi définis.

Un ciblage territorial renforcé

Une cartographie précise des secteurs éligibles par région a été établie, assortie d’une bonification de 10% à 15% selon la zone d’implantation, afin de réduire les disparités territoriales et stimuler l’investissement dans les zones à fort besoin de développement.

Ce dispositif national est également conçu pour se combiner avec les aides régionales existantes, renforçant la cohérence des interventions publiques.

Il ambitionne de dynamiser l’investissement productif, de consolider le rôle des TPME dans l’économie, de soutenir les filières stratégiques et d’accompagner la transformation structurelle du pays. À ce titre, il constitue l’un des leviers majeurs de la stratégie marocaine d’industrialisation et de développement territorial.

Les Centres régionaux d’investissement (CRI) occupent une place centrale dans le déploiement du dispositif. Ils assurent la réception des dossiers, la vérification des pièces, le calcul et le versement des primes, la contractualisation avec les entreprises et le suivi de l’exécution des projets. La plateforme en ligne dédiée à la procédure renforce la transparence et fluidifie le traitement.

Un cadre prometteur, mais encore perfectible

Pour Zakaria Fahim, Managing Partner de BDO Morocco et expert en accompagnement des entreprises familiales, interrogé à ce sujet par Le360, ce nouveau dispositif représente «une avancée à saluer». Il souligne que l’approche régionalisée et la coordination entre Maroc PME, les CRI et l’État créent enfin un levier structurant pour l’investissement.

Un exemple illustre ce potentiel: une PME industrielle de Casablanca investissant 10 MDH peut bénéficier de 3 MDH de primes cumulées. Une dynamique jugée vertueuse, mais qui laisse encore de côté une part importante du tissu entrepreneurial, selon notre interlocuteur.

En effet, explique-t-il, les TPE informelles et les auto-entrepreneurs -dont le CA est inférieur à 1 MDH -restent largement exclus. «Ce sont pourtant ces acteurs qu’il faut transformer en champions invisibles du développement local», insiste Zakaria Fahim. Le statut d’auto-entrepreneur reste perçu comme transitoire, voire comme une protection temporaire pour rester en marge du secteur formel.

Des primes attractives… mais absentes dans l’écosystème micro-entrepreneurial

Le cumul possible des trois primes, allant jusqu’à 30% des investissements, constitue un outil particulièrement attractif. Plusieurs cas le démontrent, note l’expert:

• Une entreprise agroalimentaire à Errachidia peut recevoir 4,5 MDH pour un investissement de 30 MDH.

• Une startup spécialisée dans l’intelligence artificielle à Rabat peut réduire son autofinancement de 50% grâce à la prime sectorielle et à l’accompagnement de Maroc PME.

Mais ces incitations restent mal connues des micro-entrepreneurs, relève-t-il. Pour l’expert, il est impératif d’étendre cette logique aux TPE et auto-entrepreneurs via des aides à l’équipement, à la digitalisation, ou encore à la formation. L’objectif: créer une passerelle vers la formalisation et la croissance.

Le financement, principal verrou à lever

Si les conditions d’accès -10% de fonds propres et création d’emplois- paraissent rationnelles, elles demeurent difficiles à atteindre pour la majorité des TPE. Le programme Istitmar TPE apporte un début de réponse, mais son déploiement reste limité.

«Une TPE artisanale disposant de 100.000 dirhams de fonds propres est automatiquement exclue», déplore Zakaria Fahim. Il préconise la création de mécanismes de financement en cascade: microcrédit bonifié, leasing digitalisé, avances remboursables, ainsi que la mise en place d’incubateurs publics-privés dotés de fonds d’amorçage destinés aux auto-entrepreneurs en voie de formalisation.

Un seuil d’éligibilité à repenser

L’expert insiste sur les limites du seuil de CA entre 1 et 200 MDH. Celui-ci couvre certes la majorité des PME, mais crée une zone grise pour les structures ayant entre 500.000 et 1 MDH de revenus: trop petites pour la Charte, trop grandes pour rester informelles.

Ainsi, une société réalisant 950.000 dirhams de CA est exclue du dispositif principal, tandis qu’une TPE d’Oujda, avec 700.000 dirhams de CA, doit se rabattre sur Istitmar TPE, moins incitatif.

Pour y remédier, Zakaria Fahim plaide pour un alignement des seuils avec les standards internationaux, comme en France ou au Canada. Cela impliquerait un relèvement du plafond de l’auto-entrepreneur et une révision de règles jugées «absurdes», notamment la limite des 80.000 dirhams par client.

Des obstacles structurels persistants

L’expert a identifié plusieurs freins structurels qui persistent. Il s’agit notamment de:

• la lenteur des décaissements, pouvant aller jusqu’à neuf mois

• la complexité administrative, la multiplicité des guichets

• le manque de garanties en zones rurales

• l’absence de compétences en gestion et numérique chez de nombreux petits porteurs de projets

Toutefois, il relève des avancées concrètes. À Meknès, par exemple, le guichet digital du CRI a considérablement réduit les délais de traitement.

Quelles solutions? Vers un Small Business Act marocain

Pour maximiser l’impact du dispositif, Zakaria Fahim recommande un ensemble de mesures inspirées des meilleures pratiques internationales, notamment du Small Business Act for Africa:

• Digitaliser intégralement le parcours de subvention avec traçabilité et transparence via un portail unique

• Créer un guichet régional dédié aux TPE et auto-entrepreneurs avec accompagnement personnalisé

• Former les porteurs de projets via le programme TDLF (Transformation Digitale et Leadership Financier)

• Faire évoluer le statut d’auto-entrepreneur vers la micro-entreprise, mieux accompagnée et structurée

• Encourager à la formalisation via une fiscalité progressive, des incitations à la diversification client, et une valorisation du statut dans les appels d’offres publics

L’inclusion, clé du succès

Selon lui, «l’ambition inclusive est à notre portée». Mais le nouveau cadre d’investissement ne produira son plein impact que s’il devient un moteur d’inclusion économique pour les TPE, les auto-entrepreneurs et les porteurs de projets informels. Ceux-ci représentent plus de 90% du tissu entrepreneurial marocain, mais moins de 10% de l’investissement structuré.

L’entrepreneuriat doit devenir «un choix assumé» et non une échappatoire à l’informel. Pour cela, des mécanismes simples, évolutifs et accessibles sont indispensables.

Pour Zakaria Fahim, l’enjeu est clair: faire des TPME, des auto-entrepreneurs et des PME les piliers d’une relance productive, durable et inclusive. Une ambition à la hauteur des défis économiques du pays.

Par Lahcen Oudoud
Le 20/11/2025 à 10h44