Zone 1, Vomitoire 1… Accéder à la demi-finale retour, opposant le Wydad à Petro Atletico, le vendredi 13 mai dernier, fort heureusement n'a pas tourné au film d'horreur... Car pénétrer dans le temple du football marocain –le mythique complexe Mohammed V- est souvent une épreuve à même de décourager y compris le vaillant Marcel Cerdan, dont le nom avait été donné à cet édifice, quand il a ouvert ses portes en 1955.
Quand il ne faut pas jouer des coudes dans une des 24 portes du stade, les contraintes logistiques peuvent s'avérer dissuasives: heure d'entrée, mode de locomotion ou place de parking... Mais surtout, avant d'oser braver ces péripéties, il faut trouver des billets. Basique, certes! Sauf que c'est loin d'être aussi simple que de se payer un ticket. Récit d'une «expérience client» et interrogations sur les performances des stades marocains, en quatre temps d'un match décisif…
Pré-match: billetterie et capacitéComme une remontada miraculeuse du FC Barcelone, six tickets en tribune d'honneur, tombent du ciel l'après-midi même de cette grande manifestation sportive. L'ambition au départ était de les acheter, dès leur mise en vente en ligne. «Casa Events est le gestionnaire du stade, mais notre récente plateforme de réservation 'casawe.ma' n'a pas encore l'exclusivité sur la billetterie», explique Mohamed Jouahri, directeur de la société de développement local.
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«Nous continuons de nous appuyer sur notre partenaire historique 'guichet.ma' pour les matchs des clubs résidents que sont le Raja et le Wydad, tandis que la Fédération gère de son côté, les billets du match de l'équipe nationale», poursuit-il.
Pour le match de la soirée, Casa Events s'est d'ailleurs inspiré du modèle de distribution de la Fédération. «Nous avons dû abandonner la solution 100% digitale, consistant à accorder l'accès sur simple présentation de QR code imprimé. Pour cette rencontre, l'achat s'effectue en ligne, mais le bénéficiaire devait récupérer physiquement des tickets sécurisés avec hologramme et ce, pour limiter la fraude de 90%», précise le patron de la SDL qui collecte, pour le compte de la commune, 15% des recettes de la billetterie.
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La recette de la soirée restera confidentielle, mais officiellement le nombre de places pour cette rencontre a été limité à 30.000, suite à une sanction de la Confédération africaine contre le Wydad. Du coup, les tickets étaient introuvables dès l'ouverture du guichet en ligne. «La capacité du complexe Mohammed V, 48.000 places, est déjà peu adaptée pour de grandes rencontres où le public répond généralement en masse», martelait récemment, filmé par Le360, Abdellatif Naciri, vice-président du Conseil de la ville, chargé des affaires sportives. Selon lui, «il est plus que nécessaire de relancer le projet du grand stade de Casablanca, capable de rassembler au moins 80.000 spectateurs».
Ce fameux projet, attendu depuis des lustres, change de site, de dimension et d'enveloppe budgétaire à l'occasion de chaque candidature du Royaume pour l'organisation du Mondial, avec parfois des dépenses faramineuses en études et en concours d'architecture. Aujourd'hui, s'il est dans les tablettes des élus de Casablanca, au département des Sports qui va devoir (au moins) contribuer à son financement, on préfère dégager en corner. «Plusieurs contours de ce projet restent à peaufiner comme les aménagements hors site, le montage financier ou le mode de gestion de ce stade. Nous avancerons sur ce dossier en temps voulu», nous explique Mohamed Hamimaz, directeur des Sports. Comprenez: ce n'est pour demain la veille. Alors, retour au match du jour…
Coup d'envoi: public sur ressortUn de nos six billets -avec une catégorie qui n'a pas été mise en vente pour un prix «théorique» de 1000 dirhams- est tout juste introuvable. En tout cas, aucun des cinq stadiers sollicités dans cette zone n'a été en mesure d'indiquer le siège n° 341. En lieu et place, il vous invite à vous installer là où c'est libre… en espérant que le véritable occupant du siège fasse de même.
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Les numéros de places et les indications de zones et rangées ne sont visiblement que décoratifs. Surtout dans les gradins et les tribunes couvertes (aux tickets vendus à 50 ou 100 dirhams), où le principe du premier arrivé, premier installé semble inébranlable. C'est qu'il faut croire que prendre place au complexe Mohammed V n'est pas encore ancré dans la culture des aficionados qu'ils soient du Wydad, du Raja ou les supporters des Lions de l'Atlas.
L'aménagement de places assises dans tout le stade ne remonte qu'à la dernière réhabilitation lancée en 2016 et achevée entre 2018 et 2019. «Ils n'ont pas été installés en 1983 quand le Complexe a fait peau neuve à l'occasion des jeux méditerranéens. En 2000, seules les tribunes latérales ont été équipées pour maintenir une plus grande capacité, raconte un connaisseur du stade. Et il a fallu tout refaire à la dernière rénovation pour disposer de 45.900 places toutes assises, y compris la tribune d’honneur avec ses 560 fauteuils de luxe».
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Confortablement affalé sur l'un d'entre eux, le spectacle peut être apprécié. Il se joue plus du côté des gradins, avec un nouveau tifo à sublimer la planète football et surtout de fidèles ultras, montés sur ressort, mettant une ambiance à faire pâlir The Reds. En revanche, sur la pelouse -qui a dû être replantée quelques semaines après la rénovation du stade- c'est loin d'être du Liverpool. Mais nos rouges nationaux font le job en conservant, à la mi-temps, leur avance du match aller.
Mi-temps: scandale de réhabilitationPause pipi? Vaut mieux éviter autant que possible dans le complexe Mohammed V; et nul besoin de verser dans les détails nauséabonds… Pause-café? Le service traiteur est à la mesure des moyens du Wydad; mais la salle du buffet VIP reste correcte…
Du moins, elle ne ressemble pas à la ville fantôme, découverte avec stupeur par les élus de la métropole qui ont récemment diligenté une inspection au Complexe Mohammed V, suite aux débordements et violences vécus il y a quelques semaines. Dans les annexes du complexe, notamment dans la salle omnisport, les installations sont délabrées, les portes sont cassées et rouillées, les équipements sont abandonnés.
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Pourtant pas moins de 220 millions de dirhams ont été engloutis dans des travaux de réhabilitation financés en grande partie par le ministère des Sports (130 MDH), mais aussi par la Fédération marocaine de football (40 MDH) et la commune de Casablanca à hauteur de 30 millions de dirhams. «La réception définitive des travaux n'est pas encore entérinée et la commune se montrera intransigeante dans le contrôle des dépenses effectivement engagées», prévient Abdellatif Naciri.
Dans le collimateur des élus bidaouis, la Société de développement local Casa Aménagement qui demande par ailleurs une rallonge de 90 millions de dirhams pour parachever son plan de réhabilitation du Complexe Mohammed V.
Sifflet final: liesse et omertaRetour aux vestiaires pour les joueurs, retour aux fauteuils pour les spectateurs. L'occupant du siège de remplacement du 341 a pris sa place, avec son ticket justificatif. Il est temps alors de quitter ce complexe historique, autour duquel ont fleuri de nouveaux quartiers résidentiels. «Son positionnement peut représenter un défaut sur le plan organisationnel et sécuritaire, mais c'est aussi son principal atout. Il y a de quoi en faire un pôle culturel à même de vivre toute la semaine et non pas uniquement les jours de matchs importants», nous explique un élu de la métropole.
Le positionnement typique de ce grand stade explique qu'il reste une des rares grandes infrastructures footballistiques, appartenant toujours à la Commune urbaine, et surtout à rester en dehors du giron de la Société nationale de réalisation et de gestion des stades (Sonarges). Créée par décret en 2008, cette société publique se voulait une réponse pragmatique au manque d'infrastructures sportives dont souffre encore le Royaume. Sauf que l'entreprise n'a finalement servi que de caisse d'enregistrement et de maître d'ouvrage pour la construction des grands stades de Marrakech, Tanger et Agadir qui ont englouti des milliards de dirhams pour n'ouvrir finalement que lors de rares événements. En dix ans d'activité, la société n'a cumulé qu'un chiffre d'affaires de 208 millions de dirhams.
© Copyright : Source: Sonarges
Au sein du département des Sports, on ne se fait d'ailleurs pas d'illusion sur l'avenir de cette structure. «Si la Sonarges a le mérite d'exister avec son statut de société publique, sa restructuration est une nécessité afin de la doter véritablement des moyens humains et matériels à même de remplir sa mission», admet le directeur des Sports dans le ministère chapeauté par Chakib Benmoussa.
Il y a quelques années, la structure a d'ailleurs frôlé la faillite: l'Etat a du réinjecter 45 millions de dirhams, pour éponger le passif de cette entreprise. Depuis, elle est maintenue sous perfusion à coups de subventions annuelles de quelque 30 millions de dirhams. Une enveloppe qui n'a pas d'ailleurs augmenté alors que Sonarges a récemment obtenu la gestion du grand stade de Fès et du complexe sportif Prince Moulay Abdellah de Rabat, après que ceux-ci aient été privés de leur statut de Service d'Etat géré de manière autonome (SEGMA).
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Les dépenses de fonctionnement de ces infrastructures restent un secret bien gardé chez la Sonarges. Son président du directoire, Abdelkader Roboa, s’abstient de parler de ces indicateurs et préfère plutôt se projeter dans le plan décennal de sa structure. «Notre feuille de route couplée à un business plan ambitieux vise à insuffler une nouvelle dynamique au niveau des stades à travers la mise en place d’activités commerciales récurrentes et la sédentarisation de franchises récréatives permanentes aux alentours des stades. Ce qui permettra de les transformer en vrais lieux de vie et de spectacle au profit du public 7j/7 pendant toute l’année», nous explique-t-il. Et les ambitions de la Sonarges ne s'arrêtent pas là. «Notre objectif est de doubler notre portefeuille actuel dans 10 ans, ce qui ramènera notre périmètre d’intervention à une dizaine de stades dans dix régions différentes du Royaume», poursuit-il.
Parmi les prochains stades à transférer à cette société risque donc de figurer le Complexe Mohammed V qui attise toutes les convoitises. Mais pour l'heure, dans son enceinte, le coup de sifflet final retentit. Le Wydad est en final de Ligue des Champions africaine qu'il disputera dans son fief, dans ce même stade. Le public est en liesse. Un nouvel exploit et une nouvelle communion qui relègue au second plan tous les tares du football national. Jusqu'au prochain scandale…