S'exprimant lors du point de presse à l'issue de la deuxième réunion trimestrielle de 2022 de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri a fait savoir qu'un comité est à l'œuvre pour mettre en place un cadre réglementaire adéquat permettant d'allier innovation, technologie et protection du consommateur.
A cet égard, le wali de la banque centrale a souligné que plusieurs volets vont être pris en considération pour l'élaboration de ce projet de loi, notamment les expériences mondiales en la matière. Il a ainsi noté qu'un benchmarking est en cours avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) pour faire les consultations nécessaires dans ce sens. Si à ce jour rien ne filtre sur le contenu de ce projet de loi, Badr Bellaj, spécialiste de la blockchain et des cryptomonnaies, livre les attentes des acteurs de ce marché qui suscite de plus en plus d'intérêt chez les Marocains.
Le360: Bank Al-Maghrib se penche actuellement sur l’élaboration d’un cadre réglementaire pour les cryptomonnaies. Quelle lecture faites-vous de ce projet de loi?Badr Bellaj: Nous demandons depuis 2017 la réglementation de l’usage des cryptomonnaies au Maroc. C’est donc une très bonne nouvelle de savoir que Bank Al-Maghrib se penche enfin sur l’élaboration d’un projet de loi pour offrir un cadre légal, clair et précis pour sortir du flou qui règne jusque-là malgré le grand intérêt que portent les Marocains à ces monnaies virtuelles et à l’évolution de leur usage à travers le monde.
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Maintenant, reste à savoir et à discuter le contenu de ce projet de loi, quoique personnellement, je ne m’attends pas à très grand-chose. Je pense que ce projet de loi se limitera à définir ce que c’est qu’une cryptomonnaie, un NFT (jeton non fongible, NDLR) et d’autres concepts liés aux monnaies virtuelles, sans pour autant revenir sur la décision de la banque centrale d’interdire leur usage au Maroc.
Pourquoi pensez-vous que Bank Al-Maghrib ne lèvera pas l’interdiction?J’espère me tromper, mais c’est ma lecture de la situation. Tout ce que nous savons de ce projet de loi, jusqu’ici, c’est qu’on le prépare en collaboration avec la Banque mondiale et le FMI, et donc, je pense que la position de Bank Al-Maghrib restera alignée sur celle de ces deux organismes assez réservés sur la question et qui restent sceptiques face à l’usage des cryptomonnaies, surtout que Bank Al-Maghrib s’est déjà exprimée, malgré l’absence du cadre juridique, pour simplement interdire l’usage des cryptos au Maroc.
Ce n’est donc pas aujourd’hui que la banque centrale fera marche arrière sur sa position de base. Mais ça reste un bon pas à franchir pour clarifier la situation, définir certains concepts et décider peut-être de certaines exceptions, dans un premier temps, pour ouvrir, par la suite, la porte du débat et s’adapter petit à petit au contexte international.
Quelles sont vos propositions dans le cadre de ce projet de loi?J’aurais aimé que Bank Al-Maghrib ouvre la discussion avec les acteurs du marché de la blockchain et du monde de la finance avant que ce projet ne voie le jour. Une discussion au niveau national, incluant toutes les parties prenantes, aurait permis de comprendre pourquoi malgré l’interdiction, l’usage des cryptomonnaies par les Marocains reste important.
Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est un cadre légal adapté aux spécificités du marché marocain afin de non seulement protéger les consommateurs des risques de l’usage des cryptos, mais également garantir leur droit d’investir librement. Tout ce qu’on peut faire maintenant, c’est attendre que cette loi voie le jour pour qu’on puisse l’évaluer et donner notre avis.
Dans l’idéal, qu’est ce qu’il faut changer aujourd’hui ?Je pense que dans l’idéal, il faut lever l’interdiction globale et définir des cas d’interdiction précis, comme le blanchiment d’argent, par exemple. Il faut également considérer l’investissement dans les cryptomonnaies comme tous les autres types d’investissements classiques, afin de permettre aux lois déjà existantes d'encadrer ce type d’activités aussi.
Il faut également accorder des licences aux plateformes d’échange des cryptomonnaies pour qu’elles puissent opérer au Maroc et, par conséquent, permettre à des plateformes locales de voir le jour, pour résoudre le problème de change et permettre de faire des achats et des ventes directement en dirhams.
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Une dernière chose très importante, c’est de lever l’interdiction sur le rapatriement des profits réalisés jusque-là par des Marocains détenteurs de cryptos à l’étranger et qui opèrent sur des plateformes internationales, pour leur permettre de transférer ces avoirs sur leurs comptes marocains avec un taux de change défini.
Le cours du bitcoin est en baisse depuis quelques mois. Quelles sont les raisons de cette chute?Il y a plusieurs facteurs pour expliquer la dernière chute des cours des cryptomonnaies. Le premier, c’est la conjoncture et le climat d’instabilité financière au niveau international. Il faut savoir que tous les marchés sont en baisse, pas seulement celui des cryptomonnaies. Il y a aujourd’hui une corrélation entre les marchés d’actions technologiques et le bitcoin. Par conséquent, quand ces marchés ont baissé à cause des effets de la politique financière de la banque centrale américaine, le marché de la crypto a suivi la même tendance.
Il y a aussi une autre raison. Il s'agit des quelques incidents qui ont eu lieu dans la crypto-sphère, avec, par exemple, le crash du projet Terra Luna ou les plateformes qui ont stoppé le retrait des cryptomonnaies au début de la baisse des cours, ce qui a engendré une panique qui s’est traduite par un effet boule de neige qui a accentué le crash.
Le cours du bitcoin remontera-t-il à nouveau ?On n’a pas encore de visibilité à court ou à moyen terme, mais c’est tout à fait possible que les cours remontent dans les prochains mois, si les autres marchés remontent, notamment celui des actions technologiques. C’est en quelque sorte un cycle de vie, tiré par la corrélation entre le marché des cryptomonnaies et les marchés classiques. Si l’économie se redresse, c’est tout naturellement que le bitcoin va remonter aussi, sauf qu’il y a un risque de récession de l’économie mondiale non négligeable. La reprise devra donc prendre du temps.