BTP: les architectes réclament une réforme pour libérer 60 MMDH de potentiel

Les architectes proposent d’utiliser la commande publique comme un instrument de redressement du secteur.

Le secteur du bâtiment et des travaux publics contribue à hauteur de 6% au PIB national et mobilise plus de 70 métiers. Pourtant, la profession d’architecte traverse une crise structurelle. Hassan El Mendjra Essâadi, président du Syndicat national des architectes du secteur privé appelle à une réforme en profondeur pour redonner à l’architecte sa place dans le développement économique du Maroc.

Le 12/11/2025 à 15h21

L’architecture, bien plus qu’un simple art de bâtir, façonne l’économie et le cadre social du pays. C’est en ces termes que s’exprime Hassan El Mendjra Essâadi, président du Syndicat national des architectes du secteur privé (SNAP), pour qui la discipline «constitue un catalyseur économique et social, un maillon essentiel dans la création de valeur».

Un constat étayé par les chiffres: selon les données du SNAP, le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) génère près de 60 milliards de dirhams de produit intérieur brut par an, soit environ 6% du PIB national, et emploie près de 10% de la population active. Chaque dirham investi dans la construction entraîne un effet multiplicateur immédiat sur de nombreux secteurs — transport, commerce, artisanat, ingénierie ou encore services.

«L’architecte transforme les idées en chantiers, les chantiers en espaces de vie, de travail, de loisirs et de production. C’est toute une chaîne de valeur qui s’enclenche, générant richesses et emplois durables», souligne-t-il.

Mais derrière ces chiffres flatteurs, la réalité de la profession demeure préoccupante. Le Maroc ne compte qu’un architecte pour 16.000 habitants, et plus de la moitié des praticiens réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 200.000 dirhams. «Une large partie de nos confrères vit dans des conditions modestes, avec un revenu net souvent inférieur à 5.000 dirhams par mois», déplore El Mendjra Essâadi.

Les architectes marocains exercent encore sous l’empire de textes anciens: le dahir de 1952 et la loi de 1989 qui encadrent la profession et la commande publique. Or, ces deux textes, estime le président du SNAP, «ne répondent plus ni aux exigences du développement urbain ni aux réalités économiques et sociales du Maroc d’aujourd’hui».

Le syndicat dénonce un système devenu inopérant: retards chroniques dans le paiement des honoraires, non-respect des barèmes officiels, absence de protection juridique des praticiens et prolifération de pratiques déloyales.

«Nous observons depuis plusieurs années la montée du dumping, du “cachet de complaisance” et des offres à prix cassés qui compromettent la qualité architecturale et fragilisent les jeunes bureaux», affirme El Mendjra Essâadi. «Le cadre actuel entretient la précarité et encourage les dérives au lieu de protéger la valeur du travail intellectuel.»

Selon lui, cette dérégulation rampante affaiblit tout un pan de l’économie. Les petits bureaux d’architecture, piliers de la création locale, peinent à honorer leurs charges et à investir dans la formation ou l’innovation. Résultat: une perte de compétitivité nationale et un risque de nivellement par le bas.

Appel à une réforme structurelle

Face à cette situation, le SNAP plaide pour une refonte en profondeur du cadre juridique encadrant la profession. «Nous demandons une réforme qui redonne à l’architecte sa place dans le système de développement, et qui consacre la transparence, la responsabilité et la bonne gouvernance», insiste le président du syndicat.

La réforme envisagée s’articulerait autour de trois grands axes complémentaires. Elle viserait d’abord à moderniser les lois de 1952 et de 1989, afin de les aligner sur les standards internationaux régissant les professions libérales à fort impact économique. Cette mise à jour apparaît essentielle pour adapter le cadre juridique de l’architecture aux exigences contemporaines et à la dynamique de transformation urbaine que connaît le pays.

Parallèlement, la réforme entend instaurer un cadre contractuel contraignant garantissant le paiement équitable et ponctuel des honoraires. L’objectif est de protéger les droits économiques des architectes, tout en rétablissant un équilibre de confiance entre les différents acteurs du secteur.

Cependant, il est prévu de renforcer les dispositifs de gouvernance et de contrôle, notamment en clarifiant les rôles respectifs des architectes, des ingénieurs, des promoteurs immobiliers et des autorités locales. Une telle clarification devrait contribuer à une meilleure coordination des projets et à une plus grande efficacité dans la mise en œuvre des politiques urbaines.

Dans le même esprit, le Syndicat national des architectes du secteur privé (SNAP) plaide pour une refonte en profondeur du système du «guichet unique» de l’urbanisme, souvent décrié pour son opacité et son inefficacité. «La complexité administrative et le manque de transparence freinent les projets, découragent les investisseurs et nourrissent la défiance entre professionnels et institutions», déplore Hassan El Mendjra Essâadi.

Préparer la relève

Le syndicat réclame la réintroduction du stage obligatoire avant l’exercice de la profession, supprimé par le Secrétariat général du gouvernement. Ce dispositif, selon El Mendjra Essâadi, «n’est pas une formalité académique, mais une école de responsabilité et de maturité professionnelle».

Le SNAP plaide aussi pour la création d’un fonds de solidarité professionnelle, destiné à soutenir les jeunes praticiens et les petits cabinets, financé par une contribution symbolique prélevée sur les architectes déposant un grand nombre de dossiers.

Parallèlement, la formation continue et la spécialisation en architecture durable et écoconstruction sont présentées comme des leviers incontournables pour accompagner la transition écologique et l’urbanisation rapide du pays.

«L’architecture doit être au cœur de la durabilité. Elle façonne nos villes, nos paysages et notre patrimoine. Elle doit donc être pensée comme une politique publique d’avenir, pas comme un service accessoire», affirme El Mendjra Essâadi.

Le SNAP propose d’utiliser la commande publique comme un instrument de redressement du secteur. Selon le syndicat, il est urgent de revoir les procédures de concours d’architecture en rémunérant les participants et en garantissant la transparence dans la sélection des lauréats.

«Le concours doit redevenir un levier d’innovation, pas un outil de concentration des marchés au profit de quelques acteurs», soutient le président du SNAP.

Par ailleurs, le syndicat préconise la simplification des autorisations architecturales pour les petits et moyens projets, qui représentent environ 70% de l’activité sectorielle. Il propose un circuit administratif allégé, reposant sur la signature conjointe de l’architecte, de l’ingénieur et du président de la commune, sans passer systématiquement par les agences urbaines. «Cette mesure, si elle est adoptée, accélérerait la mise en chantier, réduirait les délais et renforcerait la confiance dans l’administration locale», explique El Mendjra Essâadi.

Une profession essentielle mais sous-valorisée

Malgré sa contribution économique majeure, la profession reste sous-évaluée. Le Maroc compte plus de 30.400 architectes inscrits au tableau de l’Ordre national, mais leur répartition territoriale est très inégale. Dans certaines régions, un seul architecte couvre des dizaines de communes.

«Le pays a besoin d’au moins 4.000 architectes supplémentaires pour répondre aux besoins d’urbanisation et de logement», note El Mendjra Essâadi. Or, selon le SNAP, plus de la moitié des praticiens exercent avec un chiffre d’affaires inférieur à 200.000 dirhams par an. Les disparités de revenus sont frappantes: les architectes salariés perçoivent en moyenne 10.000 dirhams de salaire brut mensuel, avec une fourchette de 8.000 à 17.000 dirhams, tandis que nombre d’indépendants peinent à dépasser les 5.000 dirhams nets.

Cette situation, explique le président du SNAP, «traduit une forme de paradoxe: une profession à haute valeur ajoutée, au cœur du développement territorial, mais économiquement dévalorisée».

Au-delà de la revendication professionnelle, le discours du SNAP s’inscrit dans une réflexion plus large sur le rôle de l’architecture dans la compétitivité territoriale et la durabilité.

«L’architecte n’est pas un ornement du projet, c’est un acteur du développement. L’architecture conditionne la qualité du cadre de vie, l’attractivité touristique et la cohésion urbaine. Elle participe directement à l’économie circulaire et à la transition écologique», souligne El Mendjra Essâadi.

Le syndicat appelle à une meilleure intégration des architectes dans les politiques publiques d’aménagement, d’infrastructures et de logement. «Nous voulons une gouvernance où la voix de l’architecte compte dans la planification urbaine, la réhabilitation du patrimoine et la conception des infrastructures», ajoute-t-il.

Vers une reconnaissance économique de l’architecture

L’objectif affiché du SNAP est clair: faire de l’architecture un secteur économique stratégique, reconnu à la fois pour sa contribution au PIB et pour son rôle social.

Le président du syndicat plaide pour la production de données économiques détaillées sur la contribution du métier: nombre d’emplois directs et indirects, valeur ajoutée générée, part dans les exportations de services d’ingénierie, ou encore contribution au développement territorial. «Tant que l’État ne mesure pas la valeur économique de l’architecture, il ne peut pas la protéger ni la promouvoir», avertit-il.

La réforme que propose le SNAP ne se limite pas à une simple actualisation des textes. Il s’agit d’un projet de modernisation globale du secteur, en phase avec le Nouveau Modèle de Développement (NMD), qui fait de la qualité du cadre bâti et de la gouvernance territoriale un pilier du progrès économique.

«Nous ne réclamons pas des privilèges, mais des règles équitables et claires. L’architecture doit être au cœur de la croissance urbaine, non à sa périphérie. Elle est un bien public, un facteur d’investissement et de compétitivité», conclut Hassan El Mendjra Essâadi.

Par Mouhamet Ndiongue
Le 12/11/2025 à 15h21