A quelques jours de la tenue des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, s’est livré à une discussion à cœur ouvert avec Taline Koranchelian, directrice adjointe du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI.
Dans des propos repris par La Vie Eco, le wali de Bank Al-Maghrib estime que ces assemblées seront plus complexes que les précédentes. Cela est essentiellement dû aux problématiques de la fragmentation géopolitique et économique que vivent les pays du monde.
«Qu’est-ce qu’il faut prioriser? Quels messages adresser? Comment procéder aux suivis?», autant de questionnements que Jouahri présente et qu’il faudrait appréhender «en dressant le bilan de toutes les décisions prises par le passé, de ce qui a mené aux résultats négatifs de ces évolutions, tout en s’appuyant sur des institutions plus fortes, pour répondre à des besoins plus lourds et davantage coûteux».
«Le gouverneur de Bank Al-Maghrib est arrivé à la tête du ministère des Finances, dans des conditions économiques nationales pour le moins perturbées, soit à la sortie du choc pétrolier de 1979, avec des taux d’intérêt très hauts, des prix élevés, des manifestations dans plusieurs villes à la suite de l’augmentation des prix des denrées alimentaires de première nécessité… Et cerise sur le gâteau: les réserves en devises sont à sec», souligne La Vie Eco.
C’est à cette période que le Royaume du Maroc a eu de premiers contacts avec le FMI, une période au cours de laquelle Jouahri a connu de près les membres du club de Paris et du club de Londres. Bien que le programme d’ajustement structurel instauré avec l’aide du FMI ait été rigide, le wali de Bank Al Maghrib considère que cette institution financière a fait preuve d’intelligence et d’une relative flexibilité. «Le fonds et ses équipes n’avaient pas de position dogmatique. Les critères étaient remplis à 95 ou 97% et cela ne les dérangeait pas», a-t-il expliqué.
Il aura fallu 20 ans au Maroc pour remonter la pente et être reconnu auprès du système de Bretton Woods. Cela s’est matérialisé par la ligne de précaution de liquidité dont a bénéficié le Maroc depuis 2012, et plus récemment par la ligne de crédit modulable.
«Le FMI a connu une énorme évolution, a signalé Jouahri. Dans les années 80, le menu était à la carte. Actuellement, c’est en fonction de l’appréciation de la situation économique de chaque pays».
Pour le wali de Bank Al-Maghrib, «des sujets que le FMI n’abordait jamais auparavant le sont maintenant, comme la corruption, la répartition des fruits de la croissance, les aides ciblées, la croissance inclusive, durable…».
Même pour la question de régime de change, le FMI semble plus sensible à l’argumentaire du patron de la banque centrale. Il est vrai que les pré-requis fixés avec le fonds sont là, à savoir la sortie du GAFI, la soutenabilité budgétaire à moyen terme et la disponibilité des réserves de change.
«Même avec cela, je ne crois pas que les opérateurs soient prêts et préparés à passer à une deuxième étape». Après deux relances, le FMI a saisi les appréhensions du gouverneur et a «suspendu» ses relances.
En passant, le wali a salué l’équipe de très haute qualité du FMI, qui s’est montrée présente et disponible pour tous les sujet et les questions en suspens concernant cette libéralisation du taux de change
«Ce qui m’inquiète, c’est la domination du politique dont on ne voit pas la solution», a-t-il regretté. Selon le wali de Bank Al-Maghrib, en effet, plusieurs pays n’ont tiré aucun profit de la mondialisation et de la globalisation.
D’autant qu’il y a, selon lui, un délitement flagrant des élites politiques. Résultat: la population ne leur accorde plus sa confiance. «Tout le monde se cherche», a-t-il souligné.
«Il faut toutefois rester optimiste et remettre sur la table la réflexion sur les propres missions de tout un chacun», a enfin expliqué Abdellatif Jouahri.