La dynamique de déploiement de la 5G au Maroc a été immédiate. Une semaine seulement après son lancement, près de sept millions de terminaux étaient déjà compatibles, tandis que plus de 6.000 stations 5G étaient actives, couvrant environ soixante villes. Les autorités visent 8.200 stations début 2026, une trajectoire qui s’inscrit clairement dans la feuille de route Maroc Digital 2030.
Cette montée en charge rapide traduit une volonté politique et économique forte: faire de la 5G un levier structurant de la transformation numérique du pays. Car au-delà de la performance technique, c’est bien un changement d’échelle qui se profile pour des secteurs clés comme l’éducation, la santé, les startups, les ports, les mines ou encore l’industrie manufacturière.
Chaque génération de réseau mobile a accompagné une mutation spécifique des usages. La 3G a permis un accès massif à Internet mobile. La 4G a consacré l’ère des réseaux sociaux, du streaming et de la vidéo en mobilité. La 5G, elle, ne se limite pas à améliorer l’existant: elle introduit de nouveaux cas d’usage, notamment pour les professionnels.
«La 5G est une évolution technologique des réseaux mobiles, mais c’est surtout une rupture par rapport à la 4G», explique Ahmed Khaouja, expert auprès de l’Union internationale des télécommunications. «Elle ne s’adresse pas uniquement aux consommateurs habituels, elle s’adresse aussi à la grande industrie parce que c’est une technologie qui accompagne ce qu’on appelle l’industrie 4.0.»
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Sur le plan technique, la 5G permet d’atteindre des débits dix fois supérieurs à ceux de la 4G, avec des vitesses pouvant atteindre le gigabit par seconde. Mais la différence la plus structurante réside ailleurs: la latence, c’est-à-dire le temps de réponse du réseau.
Avec environ une milliseconde de latence, contre une dizaine en 4G, la 5G devient compatible avec des usages critiques en temps réel. «Quand je fais une requête sur Internet, j’aurai la réponse rapidement. Je peux télécharger un film ou un document beaucoup plus vite», résume Khaouja. «C’est plus de performance, moins de latence, plus de réaction.»
Cette réactivité ouvre la voie à des applications jusque-là impossibles à grande échelle. Elle permet notamment le pilotage d’engins autonomes, le contrôle synchronisé de robots industriels ou encore la gestion instantanée de réseaux de capteurs critiques, qu’il s’agisse de barrages, de pipelines ou d’infrastructures énergétiques. À plus long terme et avec l’avènement de la 5G autonome, elle pourrait également faire de la téléchirurgie assistée à distance une pratique courante, en garantissant une fiabilité et une précision incompatibles avec les générations précédentes de réseaux mobiles.
Continuité plus que révolution
Pour le consommateur marocain, la 5G améliore surtout l’expérience existante. Streaming fluide en très haute définition, téléchargements en quelques secondes, vidéo en 4K voire 8K, navigation plus réactive: les usages actuels gagnent en confort.
La 5G rend également possible le cloud gaming à grande échelle. Grâce à des serveurs distants qui assurent le calcul, il devient envisageable de jouer à des titres très gourmands graphiquement sans disposer d’une console ou d’un PC puissant à domicile. Une connexion rapide et stable suffit.
Pour autant, Ahmed Khaouja tempère: «La 4G reste, à mes yeux, la meilleure technologie mobile pour le citoyen. Aujourd’hui encore, 54% des abonnés dans le monde sont en 4G. La 5G est un complément à un réseau déjà bien présent et pertinent.»
L’un des apports majeurs de la 5G réside dans la gestion du spectre. Les bandes de fréquences utilisées par la 4G (800, 1.800 et 2.600 mégahertz) sont aujourd’hui saturées. La 5G, déployée notamment dans les bandes 3,4 gigahertz et, plus tard, millimétriques, permet d’absorber les usages les plus gourmands et de désengorger mécaniquement la 4G.
«Les bandes de fréquences de la 4G sont saturées. Avec la 5G, ce sont d’autres bandes, totalement différentes», souligne Khaouja. Résultat: même les utilisateurs qui ne migrent pas immédiatement vers la 5G peuvent bénéficier d’une meilleure qualité de service sur la 4G.
Cette dernière reste néanmoins indispensable pour garantir la couverture nationale, notamment dans les zones rurales où la 5G serait trop coûteuse à déployer à court terme. La bande 700 mégahertz, réservée par l’ANRT, jouera un rôle clé pour assurer cette continuité territoriale.
Une révolution d’abord industrielle et économique
Si la 5G fascine le grand public, ses retombées les plus profondes concernent les entreprises. «La 5G a été conçue, entre autres, pour l’industrie 4.0», insiste Ahmed Khaouja. «Elle permet de connecter des grues, des machines, des robots et de faire fonctionner des usines entières.»
Des acteurs comme Tanger Med ou l’OCP manifestent déjà un intérêt accru pour cette technologie. Le port Tanger Med pourrait, à terme, connecter l’ensemble de ses grues et équipements en 5G afin de synchroniser robots, logistique automatisée et analyse en temps réel des flux. L’OCP, géant du phosphate, y voit un levier pour le pilotage de capteurs, l’optimisation opérationnelle et la maintenance prédictive.
La 5G permet aussi le développement de réseaux privés, dédiés à une entreprise ou à un site industriel. «Aujourd’hui, des groupes comme Mercedes ou Audi demandent de la 5G privée, avec leur propre carte SIM, pour connecter machines, robots et systèmes internes en toute sécurité», explique l’expert.
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Au-delà de l’industrie, plusieurs secteurs pourraient être parmi les premiers bénéficiaires. La santé, d’abord, avec la connexion de dispositifs médicaux et le développement de la télémédecine avancée. «La téléchirurgie nécessitera probablement la 5G Stand-alone access (SA), mais en attendant, beaucoup d’équipements peuvent déjà être connectés», précise Khaouja.
Dans le transport, des expérimentations menées en Europe illustrent le potentiel de la 5G. Ahmed Khaouja détaille: «Face à la pénurie de chauffeurs, on fait circuler des convois de dix camions: seuls le premier et le dernier ont un chauffeur, les autres roulent de manière autonome. Cela permet plus de sécurité et moins de consommation de carburant.»
La capacité de la 5G à connecter des millions d’objets simultanément ouvre également des perspectives majeures pour la surveillance des infrastructures hydrauliques, énergétiques et environnementales, avec des réseaux de capteurs fonctionnant en continu.
Pour que la 5G tienne toutes ses promesses, encore faut-il que l’écosystème suive. «Les opérateurs ont investi, ils ont installé les antennes. Maintenant, il faut que l’industrie se prépare», avertit-il. Il appelle notamment la CGEM à sensibiliser les entreprises afin que la demande en objets connectés, capteurs et solutions Internet des objets (IoT) soit au rendez-vous.
Sans cette appropriation par le tissu économique, la 5G risque de rester sous-exploitée, cantonnée à un simple gain de confort pour les utilisateurs finaux.
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Le Maroc, comme la majorité des pays, a commencé par déployer une 5G Non-standalone access (NSA), qui repose encore en partie sur la 4G. La 5G SA, pleinement autonome, conditionne l’émergence des usages les plus avancés.
«On parlait de l’échéance 2028, l’Europe évoque désormais 2030. Personnellement, je pense qu’il faut encore attendre quatre ans pour une 5G SA mature», estime Khaouja. Un horizon qui coïncide symboliquement avec la Coupe du monde 2030, que le Maroc coorganisera.
Et après la 5G? La 6G est déjà à l’étude, avec des brevets en cours de dépôt. «Il n’y aura pas de rupture, mais une continuité», explique l’expert. Moins de latence encore, autour de 0,7 milliseconde et une intégration accrue des satellites figurent parmi les pistes envisagées.
À ceux qui affirment ne pas voir de différence avec la 4G, Ahmed Khaouja répond sans détour: «Peut-être qu’ils ne font pas attention. Quand la 5G est affichée, les téléchargements sont nettement plus rapides.» Pour l’heure, la 5G reste surtout visible dans les grandes villes, son déploiement national se fera progressivement.







