C'était lors du discours du Trône de 2015: le roi Mohammed VI dresse alors, sans ambages, ce triste constat: «en dépit des progrès réalisés par notre pays, ce qui me désole, c'est cette situation de précarité que vivent certains de nos concitoyens dans les régions éloignées et enclavées». Des directives ont été ainsi données pour mettre en œuvre le Programme de réduction des disparités territoriales et sociales en milieu rural (PRDTS), devenu depuis fer de lance de la Stratégie nationale de développement de l’Espace rural et des Zones de montagne (SNDERZM).
Le PRDTS, pour les intimes, est donc un programme royal mobilisant 50 milliards de dirhams d'investissements publics dans les domaines de l'éducation, la santé, la construction de routes et de pistes, mais aussi l'électrification et l’arrivée de l'eau courante des zones les plus reculées du Royaume. Avec son impact politique et social au profit de 12 millions de Marocains ruraux, le pilotage de ce programme avait, tout naturellement, suscité toutes les convoitises politiques, à son amorçage. Flash-back.
Convoitises politiquesEn 2016, alors en fin de mandat, Abdelilah Benkirane fait mine de découvrir subitement que c'est son ministre de l’Agriculture –un certain Aziz Akhannouch– qui sera l'ordonnateur du Fonds pour le développement rural et les zones de montagne, le FDRZM, qui devait connaître un nouvel essor. «C'était la première brouille entre les deux hommes politiques qui, jusqu’alors, se jetaient mutuellement des fleurs», rappelle un ancien membre du gouvernement. Et de poursuivre: «ce n'était qu'une vaine tentative de la part de Benkirane pour récupérer ce dossier. Son ministre du budget (le Pjdiste Driss Azami) était parfaitement au courant du montage financier ainsi que de la gouvernance, prévus pour ce fonds d'affectation spéciale».
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Le modèle retenu a finalement constitué le bon choix: le PRDTS s'est même hissé en modèle d’efficience des politiques publiques, notamment dans le domaine des synergies en matière de régionalisation avancée. Les taux de réalisation sur les cinq premières années sont des plus satisfaisants: quelque 32 milliards de dirhams d'investissements déjà engagés entre 2017 et 2021, portant sur près de 8.200 projets identifiés. L’accessibilité aux infrastructures et services sociaux de base –que sont la construction de routes et de pistes rurales, l’accès à la santé, à l’éducation, le raccordement à l’électricité et à l’eau courante– s'est améliorée, depuis le lancement du programme, de 44% selon l’indice de la qualité des services et de 38% selon l’indice d’accessibilité aux infrastructures de base. «Le PRDTS fait partie des rares chantiers qui n'ont pas été ratés durant le dernier mandat gouvernemental. Sans doute parce que son pilotage avait échappé aux cadres du PJD», ironise cet ancien président de région.
Pilotage numériséLes conseils régionaux sont d'ailleurs étroitement impliqués dans ce programme structurant pour les territoires. D'abord en apportant un financement à hauteur de 20 milliards de dirhams mais aussi en supervisant, avec les walis, des «Commissions régionales de développement de l'espace rural et des zones de montagne». Le secrétariat de ces commissions est néanmoins assuré par les directions régionales de l’Agriculture, qui veillent au suivi de l’élaboration et de la mise en œuvre de plans d'action annuels qui émanent des collectivités territoriales. «Un des points forts de ce programme réside dans son système d'information, avec des indicateurs financiers et techniques qui nous permettent de le piloter», explique Nourredine Kessa, directeur régional de l’Agriculture de Souss-Massa, une région où 5 milliards de dirhams d'investissements sont prévus par la stratégie du PRDTS.
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Un système de cartographie des communes et douars ciblés a été mis en place. Il permet un meilleur ciblage des disparités entre les territoires, qui sont classées et priorisées en tenant compte d'une vingtaine de critères déterminant le degré des inégalités. Au niveau central, c'est également le ministre de l'Agriculture qui préside la Commission nationale de développement de l’Espace rural et des Zones de montagne, habilitée à lever toutes les entraves qui peuvent surgir dans la mise en œuvre du programme.
Mais surtout, le responsable gouvernemental est aussi l'ordonnateur de ce fonds d’affectation spéciale, le FDRZM, pour lequel des moyens considérables ont été déployés. Doté de ressources propres de quelque 10,5 milliards de dirhams, ce fonds centralise, en plus, une contribution additionnelle de 12,8 milliards, en provenance de plusieurs départements ministériels.
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Grâce à l'augmentation de son budget, ce fonds est devenu un levier pour l’intégration et l'amélioration des interventions publiques. «Certains projets structurants pour le monde rural n’auraient jamais pu voir le jour sans la contribution de ce mécanisme de financement», affirme Saïd Laith, directeur du développement de l'espace rural et des zones de montagne au ministère de l'Agriculture.
Ont donc vu le jour des routes et des pistes rurales avec des ouvrages d’art, des centres de santé avec des unités de soins mobiles, des écoles avec du transport scolaire, des raccordements à l’eau potable et à l’électricité… Le Maroc rural est devenu ainsi un véritable chantier à ciel ouvert.
Désenclavement et développementLes zones montagneuses sortent progressivement de leur enclavement avec la construction ou la rénovation d'environ 12.454 kilomètres de routes à fin 2021. Et souvent, quelques kilomètres de goudron suffisent pour changer la vie de milliers de personnes qui se sentaient coupées du monde.
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Dans la province de Taroudant, à titre d'exemple, le douar d'Amlal se retrouvait isolé à chaque crue du petit oued qui le ceinture. La construction d'une nouvelle route d'une vingtaine de kilomètres, avec un nouvel ouvrage d’assainissement et de protection, en 2020, a fait en sorte que les blocages deviennent de l’histoire ancienne pour la population locale. «Le monde s'arrêtait pour nous ici à chaque crue. Les femmes enceintes devaient accoucher sur place car les ambulances ne pouvaient arriver jusqu’ici», témoigne un habitant de la région. «Sur le plan national et dans le cadre de projets similaires, les jours de coupure dans les régions enclavées seraient réduits de moitié pour passer de 24,5 à 12,2 jours», indiquent des responsables du PRDTS.
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Dans les 24.000 douars marocains concernés par le programme, l'impact des premiers investissements se fait déjà ressentir. En matière d'éducation, des écoles communautaires et des lycées sont sortis de terre, des centaines de bus de transport scolaire ont été distribuées à travers le Royaume, sans parler des différents internats construits ou rénovés. L'impact sur le taux d'abandon scolaire, surtout auprès des filles, est indéniable. «L'abandon scolaire oscillait entre 25 et 27% auprès des collégiens. Il se situe actuellement entre 10 et 11%», confirme Aida Bougnine, directeur provincial du ministère de l'Education nationale à Agadir. «Ce programme permet l'élargissement de l'offre d'enseignement tout en garantissant l'égalité des chances et une justice territoriale et sociale», poursuit-il.
Idem en matière de santé. Pas moins de 513 centres de soins ont été construits ou réaménagés et surtout équipés de manière à élargir l'offre de soins (en plus de 389 ambulances et 153 unités mobiles qui ont d’ores et déjà été livrées). Ce renforcement de la couverture sanitaire a facilité, là encore, la vie à plusieurs ruraux qui devaient auparavant parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un dispensaire. «Le taux de fréquentation des établissements de santé passerait de 8,4 à 9,2 visites à l’échelle nationale, grâce aux différents projets similaires à ceux du PRDTS», indiquent des responsables du programme.
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Last but not least, l'alimentation en eau potable et l'électrification du monde rural sont au cœur du PRDTS. Des puits et des fontaines d'eau ont déjà jailli dans des centaines de douars où même l'électricité est devenue à portée d'interrupteur.
Fin de l'exode?Les milliers de projets déjà achevés du PRDTS ont non seulement amélioré l’accès aux infrastructures et services sociaux de base, mais aussi rendu certaines zones de la campagne marocaine plus compétitives. Les agriculteurs n’ont plus à parcourir des kilomètres pour abreuver leur cheptel, ni à se soucier de la surprime de transport pour l’aliment de leur bétail ou pour les engrais de leurs cultures.
Ce désenclavement des périmètres de production à travers l’ouverture de liaisons routières a également créé un cadre propice pour encourager l’investissement privé, créer des opportunités d’emplois, diversifier les sources de revenus et par conséquent limiter l’exode rural et réguler les flux migratoires. Des ruraux reviennent de plus en plus dans leurs douars d’origine pour lancer des projets avec de nouvelles ambitions.
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C'est le cas dans un petit douar dans les environs d’Azilal, devenu accessible grâce à une route non classée qui dessert six communes. «Jamais je n'aurai songé à monter une coopérative agricole sans cette liaison routière qui nous permet d'accéder aux marchés», témoigne Abdellah Amani qui a retrouvé la terre de ses aïeux pour monter des serres d'élevage d’escargots.
Ayant cours jusqu'en 2023, le programme de réduction des disparités territoriales et sociales changera à coup sûr la physionomie du Maroc rural en le rendant plus accessible et plus productif. Le PRDTS, c'est un peu la fin de ce Maroc que l'on disait à deux vitesses, et qui retrouve désormais sa voie et son modèle pour un développement global et intégré.