Les membres du jury de la 13ème édition du Festival international du film de Marrakech ont donné, samedi, une conférence de presse chargée d’émotion au Palais des congrès. Martin Scorsese, président de ce prestigieux jury, a fait son entrée avec la réalisatrice marocaine Narjiss Nejjar, la flamboyante Patricia Clarkson, la mystérieuse et délicate Marion Cotillard, la merveilleuse actrice iranienne Golshifteh Farahani, et les réalisateurs germano-turc Fatih Akin, mexicain Amat Escalante, indien Anurag Kashyap, sud-coréen Park Chan-wook, et italien Paolo Sorrentino.
L'art, un pont entre les peuples
Ces grandes personnalités du cinéma ont partagé avec le public leur perception du cinéma. Ainsi, dira Martin Scorsese, "un film doit permettre de refléter une vision personnelle, de révéler une nouvelle voix. C’est le langage du film qui m’intéresse. Aujourd’hui, une prolifération d’images est communiquée aux jeunes. Or, c’est la valeur de l’image en terme de communication qui compte. Dans les années 60, le cinéma était plus narratif. Aujourd’hui, le monde est vu de façon différente et avec un rythme différent, aussi. Il s’est certes opéré une fracture dans le cinéma. Mais je suis accroché quand un film m’emporte dans un autre monde. Et je me souviens qu’un film qui m’a marqué est un film indien en noir et blanc, un film qui m’a absorbé". Le réalisateur a alors insisté sur le dialogue que permet d’établir le cinéma entre les peuples, les ouvrant les uns aux autres. Car, dira-t-il en effet, le cinéma , les films, permettent aux cultures de s’enrichir mutuellement. A New York, je vivais dans une zone provinciale où vivaient beaucoup de d’Italiens et d’asiatiques. Je me suis intéressé à leur cinéma. Puis je me suis intéressé au cinéma néo-réaliste. Il y a des films qui m’ont ouvert sur le monde. La musique, aussi, comme celle de Ravi shankar : je n’avais jamais entendu un son pareil. J’ai fait découvrir ça à ma fille. L’art est une fenêtre sur le reste du monde. Il ouvre les esprits et les cœurs".
Marion Cotillard a fait écho à Martin Scorsese en définissant le cinéma comme un univers où "un ensemble de créativités se rencontrent" pour parler le monde, en donner une vision singulière. Park Chan-wook a, pour sa part, parlé de la nécessité de faire des films "honnêtes", des films qui "reflètent la vie intérieure" et sont par là-même susceptibles de toucher, de bousculer quelque chose chez le spectateur. Mais le témoignage le plus poignant reste certainement celui de l’actrice iranienne Golshifteh Farahani qui a été interdite de tourner dans son pays après son rôle, saisissant, dans le magnifique "Singué Sabour" (Pierre de patience), tiré du roman du même nom de Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008. "On n’a pas apprécié, en Iran, que je collabore avec des artistes américains. Or l’art, pour moi, doit réunir les peuples. Je ne peux pas quitter l’Iran. L’Iran est dans mes cheveux, dans ma peau. Mais on dit que je provoque la nouvelle génération. Aujourd’hui, il y a une ouverture qui me redonne espoir", confiera ainsi cet artiste de talent et de courage.
Une conférence de presse où les artistes ont donc donné une définition humaniste de l’art qui permet d’établir des ponts entre les peuples. A ce propos, Fatih Akin regrettera la "politisation" systématique de ses films, "ce carcan turco allemand » dans lequel on l’enferme : "Un piège dans lequel on me traîne en permanence, dira-t-il en effet. Or, je veux raconter des histoires, varier les genres. Je ne veux pas qu’on politise tout le temps ce que je fais. Je veux juste faire des films".
Une arme de construction massive
Avant de se retirer pour visionner le premier des 15 films en compétition, les membres du jury ont encore exprimé leur bonheur d’être à Marrakech pour partager leur amour du cinéma et, dira Patricia Clarkson, "visionner ensemble des films » même si, déclarera avec modestie Amat Escalante, il n’est pas facile de se mettre dans la peau d’un "critique" quand on a eu, de plus, "Martin Scorcese comme source d’inspiration". Ce à quoi, pour le rassurer, Martin Scorsese a répondu qu’il n’était de toute façon "pas possible de critiquer. On aime trop le cinéma !". Des mots qui ont eu pour effet de faire rire l’assemblée, émue par l’admiration et le respect mutuels que se portent ces grands monstres du cinéma international qui, de même, exprimeront le plaisir qu’ils ont d’être dans un pays où ils se sont sentis pleinement accueillis. "Les rapports de l’Inde et du Maroc sont extraordinaires. Dans la rue, on nous salue dans notre langue. Je passe un séjour parmi les gens les plus sympathiques au monde", dira ainsi Anurag Kashyap. Et Narjiss Nejjar de conclure cette conférence de presse par ces mots : "Je prends conscience que ce pays est une exception dans le monde arabe et musulman. C’est un Kaléïdoscope magnifique. Je suis fière d’être marocaine. Et, comme je l’ai confié à Martin Scorsese, je considère ce festival comme une arme de construction massive".