Meryem Benm’Barek, réalisatrice: «La sexualité fait partie de l’amour, la cacher rendrait mon film incohérent»

Seule marocaine en compétition au FIFM, Meryem Benm’Barek raconte son film «Derrière les palmiers»

Meryem Benm'Barek, réalisatrice marocaine (A.Gadrouz/Le360.)

Le 06/12/2025 à 16h00

VidéoSept ans après «Sofia», récompensé par le Prix du scénario à Cannes (Un certain regard), Meryem Benm’Barek signe son retour avec «Derrière les palmiers», un deuxième long-métrage à la fois intime et politique, tourné à Tanger. Seul film marocain en compétition pour l’Étoile d’or au 22ème Festival international du film de Marrakech, l’œuvre s’impose comme l’un des temps forts de cette édition. Dans cet entretien, la réalisatrice revient sur la genèse du projet, les défis du financement, ses choix esthétiques et l’audace de certaines scènes.

Fidèle à son cinéma, Meryem Benm’Barek revisite dans son nouveau long-métrage «Derrière les palmiers» les liens entre l’intime et le politique, les rapports de pouvoir, les héritages coloniaux subtils, et la manière dont l’amour reconfigure notre regard sur le monde. Projeté en avant-première à Marrakech, le film raconte un triangle amoureux où s’entremêlent passion, illusions et trahisons. Porté par les marocains Nadia Kounda et Driss Ramdi et la française Sara Giraudeau, le film dévoile un Maroc en tension, traversé par des désirs contradictoires sociaux et économiques.

Le360: que signifie pour vous le fait que cette première mondiale se tienne au Maroc, dans le cadre du Festival international du film de Marrakech?

Meryem Benm’Barek: Pour moi, c’est un moment extrêmement fort. Partager une première mondiale avec le public marocain, c’est quelque chose d’inestimable. Je fais mes films au Maroc par choix, par engagement. Alors les montrer ici pour la première fois, c’est une suite logique car je sais que le public marocain comprend mes films de la bonne manière.

C’était aussi l’occasion d’avoir ma famille dans la salle et honnêtement, ça n’a pas de prix.

Vous n’avez pas abandonné malgré les difficultés de financement. D’où vous vient cette force?

J’ai des convictions très fortes. Je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne dans la demi-mesure, je suis même assez radicale dans ma manière d’observer et d’interroger le monde. Quand j’ai une idée en tête, je vais jusqu’au bout, sans compromis. C’est ce qui a rendu le processus long, certes, mais je ne regrette rien. Et puis, je puise ma force dans ma fille, mon mari, ma famille, mon équipe et mes amis. Je suis entourée de gens formidables. Sans eux, le film n’existerait pas.

Le titre évoque Marrakech, pourtant le film est tourné à Tanger. Pourquoi ce choix?

Pendant longtemps, il a été question de tourner à Marrakech. Moi-même, je ne voulais pas affronter Tanger tout de suite: j’y ai vécu, j’y ai des souvenirs heureux et d’autres douloureux, qui ont façonné ma vision du monde, et notamment l’idée centrale du film que l’intime est profondément politique. Au final, mes amis tangérois m’ont poussée à revenir. Il y avait une solidarité incroyable autour du projet.

Et puis Tanger…c’est une ville époustouflante. Pas seulement un décor: elle est chargée, vibrante, traversée par un tourisme subtil mais parfois pernicieux, particulièrement pertinent pour mes personnages. La mer est partout. On sent constamment la possibilité d’un avenir, juste à portée de main, mais jamais totalement accessible.

Le fait que Nadia Kounda et Driss Ramdi aient déjà joué ensemble a-t-il pesé dans votre choix, notamment dans la recherche d’une alchimie à l’écran?

Pas vraiment au départ. Je pensais à Nadia depuis longtemps: elle avait déjà passé des castings fabuleux pour «Sofia». Driss, en revanche, je l’ai cherché pendant trois ans. Lorsqu’on s’est rencontrés, j’ai eu l’intuition que c’était lui. C’est après coup que j’ai découvert qu’ils avaient tourné ensemble dans un court-métrage de Youssef Michraf. Je l’ai regardé, et effectivement, ça fonctionnait très bien entre eux à l’écran.

Comment expliquez-vous la différence entre la manière dont Mehdi traite Selma et Marie dans les scènes intimes?

Le film adopte le point de vue de Mehdi. Avec Selma, il n’a pas accès à son corps: le spectateur vit cette frustration en même temps que lui. Lors de la scène de la perte de virginité, par exemple, on ne filme que le visage de Selma. Avec la Française, c’est l’inverse: elle lui offre cet accès, cette liberté qui, pour lui, prend des allures d’émancipation. C’est une illusion, bien sûr, mais une illusion qui le fait basculer. L’intimité est donc filmée différemment parce qu’elle raconte leur trajectoire. Elle explique ses choix.

Le public marocain n’est pas habitué à de telles scènes. Était-ce un risque?

Oui, mais un risque nécessaire. Le film parle d’amour: la sexualité en fait partie. Ne pas la montrer serait incohérent. La frustration sexuelle de Mehdi est la clé de ses décisions, si je ne la montre pas, personne ne comprend le film. Au-delà de ça, je pense que le tabou ne sert à rien. Il casse la communication entre parents et enfants. J’ai une fille: je veux qu’elle puisse venir me parler sans peur. Le silence est dangereux et pousse à des fins comme celle du personnage de Selma.

Je crois profondément que le Maroc a changé, et que le public a la capacité de comprendre, d’analyser, de débattre. Et c’est comme ça qu’on avance.

«Derrière les palmiers» est le seul film marocain en compétition. Est-ce que cela vous met la pression ?

Aucune. «Derrière les palmiers» est un film marocain, oui, mais il parle au monde entier. Je suis déjà immensément heureuse d’être en compétition et de bénéficier d’un tel accueil. Le public marocain en saisit les codes, les nuances, les sous-textes. Observer ses réactions — les rires, les silences, les applaudissements, parfois même l’indignation — est extraordinaire. C’est déjà une victoire en soi.

Par Ryme Bousfiha et Adil Gadrouz
Le 06/12/2025 à 16h00