Avant ce qui s’est passé samedi 11 mai, au deuxième jour du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Rabat, durant la séance de dédicaces d’Oussama Muslim, l’opinion publique marocaine était incapable de mesurer l’ampleur et la portée du phénomène qu’est cet écrivain saoudien.
Passionné par la littérature «Fantasy», l’auteur du best-seller «Khaouf» a su séduire la jeunesse arabe, qu’on disait peu portée sur la lecture. Ses romans font appel, comme le préconise le genre qu’il prône, à des éléments magiques et surnaturels qui n’existent pas dans le monde réel. Celui qui est surnommé le «J.K. Rowling du monde arabe» est fier d’annoncer que grâce à son succès, plusieurs écrivains arabes commencent à s’intéresser à ce genre.
Mais cette réalité n’empêche pas Osamah Almuslim de pousser un «coup de gueule» en voyant la réaction de plusieurs intellectuels arabes, qui ont remis en question son succès, allant jusqu’à prétendre que l’afflux massif de ses jeunes lecteurs au SIEL était fabriqué de toutes pièces.
Le360: lors de votre présence au Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Rabat, vous avez reçu un accueil tellement chaleureux que les organisateurs ont dû interrompre votre séance de signatures. Que représente le Maroc pour vous?
Osamah Almuslim: Le Maroc était de très bon augure pour moi. Il faut dire que mes séances de signatures ces dernières années ont toujours attiré une foule impressionnante. Mais ce qui s’est produit au Maroc a été le catalyseur de grandes retombées médiatiques dans tout le monde arabe. Plus que cela, c’est pour moi LE point de départ médiatique après une longue carrière. Je tiens ainsi à faire l’éloge du travail des médias marocains, qui ont montré le vrai visage de la lecture et des lecteurs au Maroc.
Plusieurs intellectuels marocains ont considéré que cet afflux massif était exagéré, voire fabriqué de toutes pièces. Quelle est votre réaction?
Cette théorie n’émane pas seulement d’intellectuels marocains. Ce type de propos est venu de l’ensemble du monde arabe et des intellectuels arabes. Dans plusieurs pays, des groupes ont essayé de justifier, chacun à sa manière, ce qui s’est passé ce jour-là. Ils ont perçu cet afflux massif comme le reflet de leur propre échec, voire comme une gifle qu’ils ont reçue, mais ils refusent de le reconnaître.
Ce qui s’est passé vient en effet remettre en question tout leur discours sur la prétendue désaffection de la jeunesse pour la lecture. Ce genre de propos ne m’étonne pas. Ce qui est fou en revanche, c’est de penser qu’il était possible de recruter 7.000 personnes de plusieurs régions du Maroc pour venir assister à ma rencontre littéraire.
«Je peux vous assurer que le public qui est venu à ma séance de signatures était totalement organique, spontané. Et ce n’est qu’une partie de mon lectorat.»
— Osamah Almuslim, écrivain saoudien
C’est délirant de voir jusqu’à quel point certaines personnes peuvent remettre en cause ce succès, simplement parce que ça ne leur est jamais arrivé. Chaque personne qui profère ce genre de propos révèle en quelque sorte l’état trouble de son esprit.
Je peux vous assurer que ce public est totalement organique, spontané. Et ce n’est qu’une partie de mon lectorat. Dans toutes mes signatures de livres, et pas seulement au Maroc, le public est nombreux, toujours au rendez-vous. J’espère que, dans le monde arabe, nous allons cesser de nous tirer une balle dans le pied et avouer nos échecs afin de pouvoir mieux avancer.
La plupart de vos lecteurs font partie de la jeunesse. Jusqu’à quel point, selon vous, la littérature peut-elle à nouveau attirer les jeunes?
Il est à mon opinion très facile de rediriger les jeunes vers la lecture. La littérature arabe et les écrivains arabes actuels sont parfaitement capables d’attirer ces jeunes et de rendre la bibliothèque arabe plus attractive en développant les styles et les formes.
Les écrivains, les romanciers qui considèrent le public jeune comme étant leur priorité savent ce que ces jeunes aiment et font en sorte de les séduire. Et en cela, les réseaux sociaux jouent un rôle important. C’est grâce à ces médiums que nous arrivons à sonder l’intérêt de la jeunesse. Il faut cesser de voir la moitié vide du verre. Dans les réseaux sociaux, il y a beaucoup d’avantages.
Il ne faut pas oublier que c’est dans ces plateformes que nous arrivons à communiquer avec les jeunes et à connaître leurs attentes. J’irais même plus loin: les médias sociaux sont aujourd’hui l’un des moyens les plus efficaces pour communiquer avec les jeunes. Il faudrait donc exploiter ces médias de manière positive et utiliser ce moyen de communication pour diffuser la littérature et augmenter le lectorat, aussi bien sur le papier que sur Internet. Je ne pense pas qu’il faille faire le choix entre le support papier et le support électronique. Les deux peuvent former un couple harmonieux. Ceci nécessite néanmoins un grand effort de la part des écrivains.
«Je pense avoir atteint mon objectif et c’est en train de faire boule de neige. Les jeunes écrivains sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ce genre littéraire. Et c’est tant mieux.»
— Osamah Almuslim, écrivain saoudien.
Vos romans s’inscrivent dans le genre «Fantasy». Un style littéraire très peu présent chez nous au Maroc. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cet univers?
Il est vrai que la littérature « Fantasy » est presque inexistante dans la littérature arabe. Plusieurs profanes font la confusion entre le style «Fantasy», la science-fiction et l’horreur. Ahmed Taoufik et Nabil Farrouk, par exemple, écrivent des romans de «Fantasy», mais à travers le prisme de l’horreur. Des romans comme «Les Mille et une nuits», «Harry Potter» ou «Game of Thrones» peuvent aussi être catégorisés dans le genre «Fantasy», mais la librairie arabe commence à peine à se nourrir et s’inspirer de ce genre littéraire.
Avant de commencer à publier, j’écrivais des romans de «Fantasy» pour moi-même, car je suis passionné par ce genre littéraire. J’ai ressenti l’intérêt des jeunes pour ce genre. Les jeunes ont fui la lecture parce que ce qui leur était proposé n’a pas suivi l’évolution de nos sociétés et ne correspondait pas à leurs centres d’intérêt. C’est pour cette principale raison que le jeune public a quitté la librairie arabe et a migré vers la librairie occidentale. Tout ce que j’ai fait, c’est réorienter la boussole et lutter contre le désenchantement des jeunes en s’intéressant à ce qui leur plaît. Et grâce à Dieu, c’était une expérience réussie pour moi. Je pense avoir atteint mon objectif et c’est en train de faire boule de neige. Les jeunes écrivains sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ce genre littéraire. Et c’est tant mieux.