Le périple marocain de Joseph Kessel raconté par Alain Tassel, spécialiste du grand écrivain français

Joseph Kessel, romancier, journaliste et aviateur français, s'était rendu au Maroc à maintes reprises avant et après la Seconde Guerre mondiale.

EntretienAlain Tassel, spécialiste de l’œuvre de Joseph Kessel, revient dans cet entretien sur la particularité de la relation qu’entretenait l’écrivain français Joseph Kessel avec le Maroc, et son périple entre Tanger, Tarfaya et Dakhla.

Le 14/05/2024 à 10h35

Professeur de littérature française à l’Université Côte d’Azur, en France, Alain Tassel est l’auteur d’un ouvrage de référence sur Joseph Kessel, intitulé «La création romanesque dans l’œuvre de Joseph Kessel» (1997, éditions L’Harmattan). Dans cet entretien, il livre pour Le360 une rétrospective des différentes étapes du périple du romancier français au Maroc, qu’il a parcouru de Tanger à Dakhla, en passant par Tarfaya.

Le360: Joseph Kessel a rédigé deux romans prenant pour toile de fond le Maroc, «Au Grand Socco» (1952) et «Vent de sable» (1929). Racontez-nous un peu l’histoire du premier…

Alain Tassel: Soucieux de rendre compte des exploits des aviateurs de l’Aéropostale, déterminés à transporter le courrier d’un bout à l’autre du monde, Joseph Kessel s’est rapproché de son directeur, Didier Daurat. Il obtient en janvier 1929 l’autorisation de voyager au sein d’un Latéocère-26, fleuron de l’aviation civile piloté par Émile Lécrivain, en compagnie de l’ingénieur Édouard Serre. L’avion suivait la ligne Paris-Barcelone-Agadir-Dakar. La dernière partie du voyage entre Agadir et Dakar était très dangereuse en raison de l’hostilité des populations locales. Et Kessel voulut affronter ce danger. L’avion se posa à Cap Juby (un fort au nord de Tarfaya) où Kessel put découvrir les difficiles conditions de vie de la garnison. Puis il gagna Villa Cisneros (l’actuelle Dakhla) après quatre heures de vol. Une violente tempête de sable secoua l’avion et Kessel crut sa dernière heure arrivée. Avec «Vent de sable», il rendit hommage au talent du pilote Émile Lécrivain et au courage des aviateurs de l’Aéropostale.

C’est au Maroc, en 1931, que Joseph Kessel fit la connaissance d’Antoine de Saint-Exupéry alors affecté au transport de nuit sur la ligne Casablanca-Port-Etienne. Pourriez-vous nous raconter cette rencontre?

Kessel connut Saint-Exupéry par l’entremise de ses amis pilotes de l’Aéopostale Serre et Lécrivain. Saint-Exupéry avait dirigé l’étape de Cap Juby pendant 18 mois. Kessel et Saint-Exupéry étaient tous les deux des experts dans le domaine aéronautique. Le premier avait été observateur dans les avions de la Première Guerre mondiale et le second pilote dans des avions de l’Aéropostale. Kessel rédigea des articles sur cette facette de la vie de Saint-Exupéry, publiés dans le quotidien Le Matin en décembre 1931.

En mai 1939, Kessel couvrit d’éloges l’auteur de «Terre des hommes» qui venait de décrocher le Grand Prix du Roman de l’Académie française. Il avait donc une grande admiration pour le pilote de l’Aéropostale. Cette amitié s’est renforcée lors de la Seconde Guerre mondiale. Les deux écrivains se rencontrèrent à Vichy, en octobre 1940. Ils décidèrent tous les deux de soutenir l’action du Général de Gaulle: Kessel partit rejoindre le général à Londres et Saint-Exupéry partit pour l’Amérique, avant de rejoindre l’armée américaine et française (celle du maréchal De Lattre de Tassigny) qui entreprit de libérer la France en août 1944.

Kessel a visité le Maroc à plusieurs reprises, mais c’est à la faveur d’un séjour de deux mois à Tanger qu il a finalement décidé d’écrire sur cette ville. Comment expliquez-vous cela?

En janvier 1950, le réalisateur anglais Sir Carol Reed commanda un scénario à Joseph Kessel. Il lui offrit, ainsi qu’à sa femme Michèle, un séjour de deux mois dans un hôtel de Tanger, le Minzah. C’est dans cette ville, où alternaient les quartiers chics et les rues sordides, que Kessel découvrit un enfant bossu d’une douzaine d’années qui vivait de mendicité, le futur Bachir du «Grand Socco», une riche Américaine minée par l’alcool et la drogue, Monika, une entraîneuse d’une grande beauté qui avait été déportée dans un camp de concentration nazi, et Teddy, le directeur danois d’une boîte de nuit de Tanger et ex-légionnaire. C’est lors de l’été 1951, à Djerba, en Tunisie, que Kessel entreprit la rédaction des sept nouvelles du roman «Au Grand Socco», où les personnages rencontrés sur la place centrale de Tanger avaient été grandis, magnifiés par la plume d’un conteur hors pair.

Par Saad Bouzrou
Le 14/05/2024 à 10h35