Les 200 parures et bijoux marocains réunis dans ce beau-livre de 296 pages appartiennent à plusieurs collections privées et de musées, dont beaucoup sont montrés au grand public pour la première fois, recouvrant notamment les collections personnelles de l’une auteures de cet ouvrage, Zineb Zniber, de Maha Daoudi, de Khalid El Gharib et de La Galerie 38, auxquelles ont été ajoutées des fonds du Musée de Jaén (Espagne) et de Marcelin Flandrin détenu par la Fondation Banque populaire. Cette pluralité de provenance des bijoux présentés aujourd’hui est un gage de variété, à la conception parfois belle et complexe, des œuvres somptueuses qui murmurent à l’oreille:
«Tous ces chefs-d’œuvre d’orfèvrerie ont été fabriqués par des hommes juifs ou musulmans. Tous ont été portés par des femmes juives ou musulmanes. Tous étaient natifs de cette belle terre marocaine. Tous sont nés d’une mère, au sein d’une même Mère Patrie. Tous partagent cette fraternité nationale et universelle» (p.9).
Ce grand voyage est segmenté en cinq temps: les parures de la tête, les parures du buste, les parures de membres, la Khmissa et l’or au quotidien. Mais on découvre avec plaisir des textes intimistes des deux auteures, calés en introduction de certains chapitres, écrits comme des récits, une dizaine de nouvelles avec des personnages féminins et des dialogues qui nous font remonter le temps, notamment aux 19ème et 20ème siècle. Une histoire riche et ancienne comme un fil d’identité de la beauté féminine, parfois minimaliste ou au contraire baroque, selon les époques et les sensibilités des mâalems qui apposaient leurs codes. «Le symbole, pour se livrer à nous, exige de la contemplation, du travail, du silence. Cette mystérieuse réalité ne s’aborde que par la voie du cœur» (p.17), préviennent Wafa Méziou et Zineb Zniber qui aiment à considérer le bijou comme une allégorie féminine avec son langage et ses messages à interpréter.
On se plaît à imaginer que des femmes ont porté ces merveilles autrefois et que le temps qui nous sépare d’elles s’estompe avec l’art. Chmars, boucles de ceintures, broches, colliers, diadèmes, frontaux, chevillères ou bracelets parfois rehaussés de perles ou de pierres précieuses, des cadeaux de dots lors des mariages ou simplement des achats au cours de la vie des femmes, la Marocaine a été sublimée par des virtuoses du design dont on mesure la dextérité et la finesse dans ce beau-livre.
Mais ces joyaux du quotidien ne sont hélas plus portés par les femmes du Maroc, qui préfèrent désormais les grands bijoutiers occidentaux, ou si rarement dans les contrées où l’antique héritage marocain est transmis de mère en fille et extirpé de sa boîte pour les grandes occasions. D’où le sentiment d’être dans un musée ou dans un lieu de mémoire féminin à la lecture de «Parures en or du Maroc, Histoire de femmes, de symboles et d’amour». Les fibules, ces ornements spectaculaires, agrafes composées en argent façonné, qui retiennent les colliers sur l’ample djellaba de nos mères, sont aujourd’hui passées de mode. Les orfèvres juifs qui les confectionnaient sont, pour la plupart, partis dans les années 1960 après avoir transmis leur savoir-faire aux artisans berbères.
«Parures en or du Maroc, Histoire de femmes, de symboles et d’amour (1)
Photographies reproduites avec l’autorisation de Zineb Zniber et Wafa Méziou.
Ces objets de société, expliquent les auteures, témoignent du statut, de la fortune et de l’amour porté aux femmes par les hommes. Mais il s’agit aussi de l’histoire d’une transmission de ces collections privées en question comme un trésor secret jusqu’à aujourd’hui. Outre leur aspect artistique, certains de ces bijoux comme les fibules étaient utilitaires, les femmes s’en servant pour rassembler deux tissus sur leurs poitrines. Certains d’entre eux, plus énigmatiques, sont ornés de motifs symboliques pour éloigner le mauvais sort ou faire durer l’amour.
Avec des photos prises par Mustapha Belkasse, Martin Garcia Pérez et Gonzalo Salcedo, les bijoux ne sont pas pris ici pour leur histoire identitaire, mais assumés en tant qu’œuvre d’art qui regorge de savoir-faire technique et artistique, et d’un legs de femme à femme qui est le fil conducteur de l’ouvrage. On se balade avec allégresse dans le décor floral et arabesque, les émaux champlevés et les pierres exotiques qui rappellent les Indes et l’Orient des rubis, grenats, émeraudes et perles somptueuses. Les bijoux sont créés selon des techniques ancestrales de découpage et de moulage utilisées jadis dans le Moyen Atlas. Les pièces obtenues par l’estampage et la ciselure animée d’émaux de couleur ou de nielle constituent l’une des procédures traditionnelles prisées par les artisans.
Un beau-livre sur l’orfèvrerie marocaine qui est plus qu’un ornement dans un salon coquet, un voyage dans la préciosité et un langage magique qui nous transmet encore tant de choses. C’est pourquoi ces parures demeurent des objets profondément présents dans notre imaginaire.
En vente exclusivement à: Casablanca Carrefour des livres – Rabat Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain – Marrakech Librairie Chatr, Les DixDoigts et Khalid Fine Arts – Paris Institut du monde arabe et Musée d’art et d’histoire du judaïsme.
«Parures en or du Maroc, Histoire de femmes, de symboles et d’amour», de Zineb Zniber et Wafa Méziou, 296 pages. Éditions Reflet de soi, 2024. Prix public: 890 DH.