Bien que ce projet, maquette à l’appui, ait été rendu public depuis quelque temps déjà sans pour autant faire de remous, il a suffi que les réseaux sociaux s’en emparent pour déclencher une polémique autour du peu d’intérêt accordé à la chose culturelle au Maroc et à la destruction du patrimoine architectural du pays.
A l’origine du post au sujet de ce patrimoine en danger, Hicham Al Ahrach, ancien conseiller du Parti Justice et Développement (PJD) à la mairie de Rabat. Le 29 septembre, celui-ci poste sur son compte facebook une photo du pan du mur qui jouxte la nouvelle gare en titrant «Préparatifs en cours pour démolir un mur de 800 ans…». Il explique ainsi que ce pan de mur «fait partie du mur unifié construit par le grand calife Abou Youssef Yacoub à la fin du XIIe siècle grégorien, c'est-à-dire il y a plus de 800 ans» et annonce que cette partie du mur «sera bientôt démolie pour ouvrir une nouvelle entrée à la gare de Rabat-ville».
Le patrimoine en danger, nouvelle star des réseaux sociauxQualifiant de «mascarade» cette démolition qui avait été épinglée selon lui dans les remarques négatives émises par l’Unesco dans un rapport sur Rabat, Hicham Al Ahrach se base sur «le mauvais état dans lequel ce tronçon de la muraille a été laissé délibérément » car, poursuit-il, le reste de «la muraille a été restauré à l’exception de ce tronçon».
Largement partagé et commenté, ce post a suscité de nombreuses réactions négatives sur la toile, les internautes s’émouvant de ce qui est ici dépeint comme un scandale, un camouflet de plus asséné au patrimoine historique marocain. Contacté par Le360, Hicham Al Ahrach n’en démord pas. «Vous devez appeler les responsables. Demandez à la nouvelle maire de Rabat ce qu’elle compte faire», interpelle-t-il avec fougue, alors que ce même sujet n’avait pas fait de vague lorsque le PJD siégeait au Conseil de la ville. «J’ai soulevé cette question à plusieurs reprises», précise toutefois notre interlocuteur sans vouloir débattre pour autant de l’aspect politique que pourrait revêtir cette polémique.
Mais pourquoi s’émouvoir maintenant publiquement de cette percée qui sera peut-être effective –car cela reste toujours de l’ordre de l’hypothétique– sachant que le plan d’aménagement a déjà été présenté? «En effet, ce n’est pas une surprise, nous ne découvrons rien, mais les gens ne vont pas être contents», rétorque Al Ahrach qui insiste sur «l’état lamentable» dans lequel a été laissé cette partie du mur alors que le reste de la muraille a été restauré. «Il peut tomber à n’importe quel moment», prévient-il. Interrogé sur les autres percées faites dans les murailles de Rabat, comme celle de Bab El Had, reliant l’ancienne ville à la nouvelle, Hicham Al Ahrach précise que celle-ci a été faite à l’époque du protectorat et que «ce qui a été fait à l’époque des Français ne peut pas être fait aujourd’hui».
Une polémique vide de sens?Un pan de muraille de 800 ans prête à rendre l’âme au profit d’une porte servant à fluidifier le trafic d’une gare qui brasse des dizaines de milliers d’usagers par jour… folie ou bon sens? En fait, la question ne se pose même pas et cette polémique naissante reposerait en fait sur… du vent. C’est tout du moins ce que nous explique l’historien et archéologue Mohamed Es Semmar, directeur du patrimoine historique à l’agence pour l’aménagement du Bouregreg, et qui veille, avec une attention toute particulière, sur le patrimoine architectural de Rabat, et plus précisément sur ses célèbres murailles.
«Je suis connu pour mon franc-parler et je vous préviens, je ne vais pas y aller de main morte», nous prévient-il d’emblée. Tant mieux, c’est précisément ce que l’on souhaite, une réponse franche du collier. «Sincérité, honnêteté et objectivité scientifique, très loin de la politique», promet-il ainsi.
Lire aussi : Vidéo. ONCF: la nouvelle gare Rabat-Agdal comme si vous y étiez
Passablement échaudé par cette polémique dont il a eu vent la veille, l’historien et archéologue en revient à la genèse de ce projet. «Effectivement, il a été proposé dans le plan d’exécution du projet de la gare de Rabat-ville, dont le maitre d’ouvrage est l’ONCF, d’enlever carrément une partie de la muraille, comme l’a fait auparavant l’Agence d aménagement de la vallée du Bouregreg pour le tramway qui est juste à côté de la gare ou comme cela a été fait à Bab El Had. Mais une deuxième solution a aussi été proposée pour réduire l’impact de ce plan d’aménagement sur la muraille et ce, après concertation avec le ministère de la Culture, nos experts, et moi-même qui ai été consulté sur la question. J’ai répondu que si c’était une nécessité, nous pouvions faire une ou deux percées piétonnes comme c’est le cas à Bab Rouah ou Bab Zaër», explique ainsi l’expert qui a été chargé de la restauration des murailles de Rabat entre autres sites.
Mais si percée il y a, celle-ci devra «se faire selon des règles bien précises», insiste Mohamed Es Semmar qui ne prend pas la chose à la légère. «Il faut que cette surface de la muraille soit, juridiquement parlant, déclassée car c’est un monument classé. Et si elle était déclassée, procédure qui implique entre autres le ministère de la Culture, on pourrait alors travailler et faire ce qu’on veut», explique-t-il en préambule de son argumentaire. Or, «la muraille des Almohades de Rabat est classée sur la liste du patrimoine mondial, ce qui implique que quand bien même on la déclassait, il faudrait tout de même qu’on soumette la chose à l’Unesco pour avoir son aval», explique Es Semmar.
Et de poursuivre que «si l’Unesco répondait par la favorable, cela impliquerait que nous aurions réussi à convaincre l’institution que ce projet d’aménagement est une nécessité, que nous apportons toutes les garanties sur le plan de la stabilité de la muraille mais aussi du point de vue visuel. Dans ce cas précis, nous aurions alors toutes les autorisations et l’ONCF en tant que maitre d’ouvrage pourrait donner le feu vert du lancement des travaux».
Circulez, y a rien à voir!Mais pour l’heure, nous n’en sommes pas là car, explique l’historien, «le projet a été soumis à l’Unesco pour approbation et l’organisme n’a pas encore donné son avis. L’instance onusienne ne nous a répondu ni par oui ni par non!», conclut-il. Et de s’irriter au passage sur une polémique «vide de sens» qui veut influencer l’opinion publique en pointant du doigt le rôle de l’ONCF dans la destruction du patrimoine.
Lire aussi : Sauvegarde du patrimoine culturel: lancement du processus de mise à jour du plan de gestion de Rabat
«L’ONCF a fait son boulot en soumettant son projet au ministère de la Culture pour le déclassement de ce pan de la muraille et le ministère a souhaité consulter l’Unesco avant de lancer cette procédure», précise Mohamed Es Semmar.
S’agissant des allégations émises par Hicham Al Ahrach, selon lesquelles un pan de la muraille n’aurait pas été restauré en vue de futurs travaux de destruction, l’inspecteur en patrimoine voit rouge. «Nous avons restauré la muraille des Almohades et nous n’avons pas pu restaurer ce pan car les installations et des engins de chantier nécessitaient de différer sa prise en charge», explique-t-il et ce, malgré une pause de six mois pour laisser le temps aux installations du chantier de la gare d’être démontées. Le projet d’une éventuelle percée dans la muraille ayant été soumis entre temps, il a finalement été décidé que le renforcement et la restauration de ce pan de mur se ferait par la suite.
Quant à ceux qui mettraient en doute la qualité de la restauration des murailles de Rabat, arguant que rien ne reste des vieilles pierres après de (trop) nombreuses restaurations approximatives, Mohamed Es Semmar, répond sur le même ton véhément. «Je ne dis pas que tout ce qui a été fait est parfait mais la majorité écrasante des murailles almohades, mérinides du Chellah ou mérinides de la rive droite de Salé, ainsi que des murailles alaouites ont été bien faites et l’ont été dans les règles de l’art, plus précisément de 2011 à nos jours. La restauration et la réhabilitation ont été faites avec des techniques adéquates, en concertation avec des entreprises, des bureaux d’études, des architectes du patrimoine et des archéologues restaurateurs qui formaient une commission compétente,» défend-il. «J’assume toute ma responsabilité», conclut l’homme d’histoire qui voue une passion farouche aux vieilles pierres de la capitale.
Quant au sort du pan de la muraille incriminé, il est désormais entre les mains de l’Unesco. Si cette instance onusienne se prononce pour son maintien, il sera réhabilité.