Frappée par le terrible fait-divers d’un viol collectif d’une jeune indienne avec une barre de fer rouillée, dans un bus à New Delhi en 2012, Saphia Azzeddine a imaginé le personnage de Bilqiss. Sous les traits d’une Antigone voilée, l’héroïne laisse entrevoir une mèche de sa chevelure, comme un signe de résistance. De plus, la jeune musulmane écoute des chansons de Abdelhalim Hafez et collectionne les peluches, ce qui ne plait pas aux hommes de son village “dans un pays où il vaut mieux être n’importe quoi d’autre et si possible un volatile”.
Par ailleurs, Belquiss est accusée d’avoir lancé un appel à la prière à la place du muezzin alors ivre mort. On lui reproche également d’autres dérives au code de bonne conduite. Un expert en droit islamique a même répertorié des preuves: “du maquillage, des chaussures à talons, de la lingerie féminine dont un bustier en dentelle, un portrait d’homme, des journaux, un recueil de poésie persane, du gingembre, une bougie parfumée, des cassettes de chansons, une peluche, des collants, un parfum, une pince à épiler… des aubergines et des courgettes parce que les femmes n’avaient pas le droit d’acheter des légumes à la forme phallique …”
L’héroïne de ce conte moderne ne laisse pas indifférent avec son sens de la repartie: ”Le juge me demanda si j’avais quelque chose à répondre. Cette fois oui, j’avais quelque chose à dire. - Je suis bien d’accord avec vous, votre honneur, il faut tuer le mal à la source. Donc, si à mon tour j’accumule tous les interdits qu’une femme traîne avec elle à cause de ce que ça provoque dans le slip des hommes, alors oui, il faut tuer le mal à la source ! La source doit même être massacrée. Guillotinée. Décimée. Brisée. Broyée. Hachée. Tranchée. Exterminée….”.
Mais Belqiss est également fière: “Vous êtes de pauvres cons, avec les clefs du temple” ; insolente: “Il fait trop chaud pour se couvrir, Dieu est juste, Il ne peut pas nous infliger cela. La température est la même pour tout le monde, alors si tu as chaud en bras de chemise, imagine ce que je ressens sous ma burqa, espèce d’enflure” ; effrontée : “Protéger de qui? De vous, les hommes? Vous admettez donc que vous êtes dangereux? Que vous êtes le problème? Ai-je demandé à être protégée, moi ? Si vous êtes dangereux, c’est vous que l’on doit tuer, pas nous que vous devez sacrifier…”.
Et puis un jour, les vidéos du procès de Belqiss font le buzz sur Internet mais la fille à la beauté tragique se rebelle et défend son image et à travers elle la dignité humaine: “Je n’avais pas envie de me retrouver sur des autocollants, des posters, des sacs et des tee-shirts, je n’avais pas envie que mon histoire inonde les pages froissées des magazines de salles d’attente, je n’avais pas envie d’être celle qui ferait relativiser les autres en leur faisant réaliser qu’ils n’étaient pas si malheureux après tout…”.
Saphia Azzeddine a publié son premier roman "Confidences à Allah " en 2008 qui a fait l'objet d'une adaptation théâtrale. Un an plus tard, elle sort son second roman "Mon père est une femme de ménage“ qui a été adapté au cinéma, suivi de la publication de “La Mecque-Phuket”, puis “Héros anonymes” et “Combien veux-tu m'épouser??” paru en 2013 chez Grasset. “Bilqiss” est son 6ème roman."Bilqiss" de Saphia Azzeddine, Stock, 232p, environ 200 DH.




