Taha Fahssi. Le nom de ce jeune Casaoui, authentique «ould derb» et fier enfant du quartier Benjdia, ce cœur populaire de la capitale économique, ne vous dit peut-être pas grand-chose. Mais il suffit de prononcer son nom de scène, ElGrandeToto, pour que la donne change. Radicalement. ElGrandeToto, c’est probablement le rappeur marocain le plus doué de sa génération et, certainement, le plus célèbre. Au Maroc, mais aussi, beaucoup, hors de nos frontières. Le langage est parfois cru, mais le propos d’une grande actualité, la voix est grave et le son bien travaillé, empruntant tantôt au rap pur et dur, tantôt à la pop marocaine et, de plus en plus, aux renversantes sonorités africaines. ElGrandeToto plaît et pas qu’aux jeunes.
Des tubes qui explosent tous les compteurs sur Spotify et YouTube notamment, un storytelling dans lequel nombreux sont ceux et celles qui se reconnaissent, des clips d’une grande qualité visuelle, des codes universels. Le succès n’est pas nouveau et cela fait des années qu’il dure. Musicalement, ElGrandeToto se bonifie.
Aujourd’hui riche et célèbre, humainement, il reste fidèle à lui-même. Mais la célébrité va souvent de pair avec son lot de défaillances et autres dérapages. Et Taha Fahssi en a commis un certain nombre ces derniers temps, à la faveur d’un retour sur scène après deux années de Covid-19, de confinement et d’absence de spectacles. L’artiste, dans un de ses hors-pistes, a publiquement assumé sa consommation de cannabis. Il s’en est pris à un animateur télé résidant en Belgique qui l’avait critiqué, allant jusqu’à proférer des menaces à son encontre. Pour cela et pour d’autres raisons, il a accumulé les plaintes (six, dont quatre des chanteurs l’ayant porté ont été retirées) et fait l’objet d’une interdiction de quitter le territoire national. Sa garde à vue s’est achevée ce mercredi 26 octobre 2022 par une libération en attendant que la justice se prononce sur les deux plaintes toujours de mise, portées par l’ancien animateur télé et un policier.
Lire aussi : El Grande Toto, rappeur, présente ses excuses à tous ceux qui ont pu se sentir «offensés»
D’après ses propres dires lors d’une conférence de presse donnée dimanche 23 octobre dernier à Rabat, Taha Fahssi, qui s’est fait discret ces dernières semaines, a affirmé avoir «compris la leçon» et a publiquement présenté ses excuses à tous ceux qu’il a offensés. L’affaire suit son cours et c’est à la justice de dire son dernier mot, mais une chose est sûre: l’erreur est humaine et une faute avouée est, en principe, à moitié pardonnée. Si nul ne peut être au-dessus de la loi, quelle que soit sa fortune ou sa notoriété, Taha Fahssi reste justement un jeune Marocain symptomatique de toute une génération. Si son parler (un peu trop) cash, son attitude quelque peu irrévérencieuse et la grosse tête que son succès a dû lui procurer peuvent irriter, il n’en reste pas moins un talentueux rappeur qui dit tout haut ce que toute une génération de Marocains ressent et pense. En cela, c’est une forme d’émancipation.
ElGrandeToto, de par son succès phénoménal, fait à lui seul bien plus que de grandes campagnes de communication en matière de promotion du pays, de la culture urbaine et de biens des arts marocains. En Egypte par exemple, pays peu habitué à la darija marocaine, ElGrandeToto s’est produit à guichets fermés. Nous sommes dans la même Egypte où une star de la chanson comme Shirine, malgré ses moult frasques et autres scandales, est entourée d’une grande sollicitude par les autorités, protégée et défendue par ses pairs et couvée par l’opinion. ElGrandeToto est l’artiste le plus écouté en Algérie, par ailleurs, et le plus streamé dans toute la région Maghreb-Orient sur Spotify (135 millions de streams). Encore jeune, il peut toujours apprendre à évoluer et continuer de briller et faire rayonner le Maroc. Il faut, certes, recadrer l’homme, mais ne pas accabler ou étouffer l’artiste. Ce serait, là encore, un immense gâchis et, encore une fois, une mauvaise publicité dont tout un pays se passerait volontiers.