Le programme était chargé pour Abdellatif Laâbi lors de la deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech (FLAM). Une lecture de poésies le vendredi 9 février, aux côtés de l’écrivain mozambicain Mia Couto, de l’auteur franco-haïtien Louis Philippe d’Alembert et de l’écrivaine franco-ivoirienne Véronique Tadjo, suivie le lendemain par une rencontre autour du thème «De la fiction à l’action, que reste-t-il de nos utopies?» Dans cet entretien avec Le360, Abdellatif Laâbi regrette que les Marocains ne connaissent pas suffisamment les créateurs et intellectuels d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe.
Que pensez-vous de la programmation de cette deuxième édition du Festival du livre africain de Marrakech?
C’est une très belle édition. Il y a de grosses pointures de la littérature internationale et africaine. Ce qui fait qu’en quelques jours, il est réellement très difficile de retenir le public pour participer à toutes les rencontres et conférences...
J’estime que, cette année, les organisateurs ont eu la main heureuse, et j’y ai quelque peu contribué aussi, puisque j’ai suggéré des noms qui me tiennent particulièrement à coeur. C’est le cas, par exemple, du Mozambicain Mia Couto, de l’Angolais Edouardo José Agualusa, ou encore du Martiniquais Raphaël Confiant, qui n’a malheureusement pas pu venir à cause de quelques soucis de santé. Je tenais à la présence de ces trois personnes, car je crois que dans la littérature d’aujourd’hui, ils représentent des voix singulières.
Que pensez-vous de la production actuelle de la littérature africaine?
Je commencerais d’abord par dire qu’il n’y a pas une, mais plusieurs Afriques. On en parle comme ça au singulier, alors qu’il y a des entités très différentes les unes des autres, mais qui ont, en même temps, des aspirations et qui se posent des questions communes.
«Aujourd’hui, je crois que le temps des périphéries est arrivé. Si on veut lister les grands noms de la littérature universelle, ils viennent pour la plupart de la périphérie.»
— Abdellatif Laâbi, poète, écrivain et intellectuel marocain.
La partie de l’Afrique qui est plus proche géographiquement nous est plus familière, ne serait-ce que par la colonisation française qui nous a touchés ensemble. En revanche, nous connaissons moins les autres entités africaines, du côté de l’Est, comme la Tanzanie, ou encore l’Afrique Australe.
Nous avons besoin de beaucoup de rencontres de ce genre. Ce festival est une occasion pour dire que la colonisation est derrière nous, qu’il s’agit de s’attaquer à ce qui va nous constituer ensemble dans le futur et de s’interroger sur les bases que nous allons jeter pour que nos sociétés avancent sur le plan culturel et social, mais aussi politique, pour l’instauration de la démocratie et la conquête des valeurs démocratiques.
Lors de cette deuxième édition du festival, la phrase «la littérature africaine doit sortir de la tutelle occidentale» revenait souvent. Mais est-ce concrètement faisable?
En réalité, c’est un mythe de considérer que nous sommes sous tutelle. Les auteurs que j’ai cités, par exemple, font de la littérature mondiale, universelle, qui n’a rien à voir avec la France. Si on prend le cas de Salman Rushdie, pour ne pas rester seulement en Afrique, l’auteur est indo-pakistanais et pourtant, il est l’une de figures de proue de la littérature internationale.
Il y a aussi un grand intellectuel martiniquais qui, il y a une vingtaine d’années, avait publié un essai pour définir une littérature émergente à travers le monde, qu’il a appelée une «littérature monde». C’est une littérature qui provient de régions du monde qui étaient considérées comme des périphéries par rapport au centre et à l’Occident. Aujourd’hui, je crois que le temps des périphéries est arrivé. Si l’on veut lister les grands noms de la littérature universelle, ils viennent pour la plupart de la périphérie.
À quand la parution de votre prochain recueil de poésie?
Il y a un recueil intitulé «À deux pas de l’enfer» qui sera publié dans un mois. Je travaille aussi sur un projet important, car j’ai décidé que toutes mes œuvres seront publiées en arabe. L’année dernière, j’ai publié quatre titres en langue arabe, et quatre autres seront publiés cette année chez le même éditeur, Dar Rafidain. C’est un éditeur d’origine iraquienne qui travaille à Beyrouth au Liban. On s’est donc entendu pour rééditer l’intégralité de mes livres. Cinq sont déjà sortis chez lui, et les autres sortiront progressivement.