Un patrimoine artisanal si riche... Mais pas de relève à l’horizon

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ChroniqueComment perpétuer ces métiers d’art porteurs d’histoire et de culture dans une société de consommation qui privilégie la fastlife? Où trouver à qui passer le flambeau?

Le 03/04/2022 à 16h57

En plus d’être des artistes, nos artisans sont les garants d’une mémoire vieille de plusieurs siècles qui se perpétue de générations de mâalems en générations, et dont les lignes s’écrivent sur les surfaces martelées du cuivre, les délicates gravures ciselées du bois et du plâtre, les peaux tannées du cuir, la poterie, ou encore le tissage et les broderies si riches de notre mode traditionnelle.

Notre artisanat, c’est notre identité, mais pour prendre conscience de sa valeur et ainsi le valoriser davantage, encore faut-il connaître un tant soit peu l’histoire dont il est porteur. C’est là que le bât blesse… En discutant pendant de longues heures avec des dizaines d’artisans marocains, qu’ils soient de Fès, Rabat, Azemmour ou Casablanca, c’est la même déception et la même appréhension qui se traduisent dans une vision fataliste de l’avenir de leur profession.

«La relève? Il n’y en pas», se désolent-ils en chœur. Trop difficile, trop peu payé, trop exigeant, trop chronophage, trop peu valorisé… Leur art ne séduit plus les jeunes générations, déplorent les anciens, un brin critiques à l’égard de ces jeunes si prompts à vouloir gagner très vite de l’argent et si peu curieux de ce qui n’émane pas des nouvelles technologies. Alors comment perpétuer ces métiers d’art porteurs d’histoire et de culture dans une société de consommation qui privilégie la fastlife? Où trouver à qui passer le flambeau?

L’enjeu est de taille, d’autant que ces maâlmines qui ont traversé les âges et épousé leur profession durant leur enfance sont pour bon nombre analphabètes et perpétuent ainsi tant bien que mal leur art par la tradition orale. Aujourd’hui, les temps ont changé. On a fait de la déscolarisation un combat et si hier encore, il était de coutume qu’un maâlem prenne pour apprenti un jeune enfant, lui offrant en contrepartie de son travail, le gîte et le couvert, on ne peut plus procéder de la sorte.

Il en résulte que des métiers traditionnels sont en voie d’extinction, comme celui de moulbarchemane qui réalisait la passementerie de façon traditionnelle. Il fallait être deux, le maître et son jeune apprenti, pour réaliser à la main ce travail qui consistait pour l’un à tresser les fils tandis que l’autre les fixait sur la jellaba. Aujourd’hui, la machine a pris le relais de cette partition qui s’écrivait à deux.

Cette même extinction menace la fabrication artisanale du brocart, dont le dernier maître, El Hadj Ouazzani, âgé de près de 85 ans –si ce n’est plus– tente encore d’enseigner son art si fragile dans la médina de Fès à des disciples qui se font rares. Le fonctionnement de son gigantesque métier à tisser est tellement complexe que celui-ci a nécessité plus de douze ans d’apprentissage à El Hadj Ouazzani. Face à cet apprentissage qui nécessite de part et d’autre beaucoup de passion, d’amour et ouvre la voie à une vocation bien plus qu’à un métier, l’ampleur de la tâche semble colossale.

Autre constat somme toute désolant, au détour de ces conversations avec nos artisans: la dissociation de l’art et de son histoire. On pourrait croire très naïvement que les mains d’or qui façonnent tant de beautés sont guidées et inspirées par l’histoire qui se cache sous les motifs tissés, les formes géométriques, la faune et la flore des broderies mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Bien souvent, le geste de l’artisan n’est pas dicté par la connaissance de l’histoire de son art et s’il perpétue mécaniquement un savoir, c’est sans l’associer à ses origines. Le tarzzemmouri en est le parfait exemple avec ses brodeuses d’aujourd’hui qui apprennent le métier en regardant des vidéos d’apprentissage sur Internet et continuent de tisser ses fleurs, ses losanges, ses calices, ses paons, ses dames en robe cloche et ses dragons sans prendre conscience qu’elles perpétuent là un pur héritage de la Renaissance italienne, un témoignage du bestiaire fantastique byzantin, un héritage de l’exil des juifs andalous…

Il y a donc une double urgence en matière d’artisanat traditionnel: transmettre aux jeunes générations ces métiers traditionnels en en faisant un levier économique et transmettre leur histoire, sans quoi l’artisanat ressemblera à une coquille vide.

Petite lueur à l’horizon toutefois avec la rencontre organisée le 1er avril par le Conseil économique social et environnemental, en partenariat avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, intitulée «pour une nouvelle vision de gestion et de valorisation du patrimoine culturel».

On y a rappelé l’importance de ce patrimoine culturel millénaire, héritage vivant et source de fierté qu’il convient de protéger, valoriser, promouvoir et de revisiter. Certes, entre festivals, journées internationales, nouvelle dynamique muséale et inscription sur les listes du patrimoine mondial et du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, on a pu assurer la pérennité de nombre de monuments, évènements et expressions culturelles immatérielles.

Mais, comme le relève le CESE, malgré ces efforts et ces avancées, le patrimoine culturel a toujours besoin d’une forte impulsion en vue de se transformer valablement en richesse matérielle ayant un fort impact socioéconomique, et devenir ainsi un véritable levier de développement. Et parmi les recommandations phares pour y aboutir, l’adoption d’une stratégie nationale pour la protection, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine culturel fondées sur l’effectivité des droits, le respect de la diversité culturelle, de même que l’implication des mécanismes de démocratie locale et de bonne gouvernance.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 03/04/2022 à 16h57