La justice a enfin rendu son verdict dans l’affaire de Khadija, qui en 2018, alors âgée de 17 ans, s’est fait kidnapper, séquestrer, violer et torturer pendant deux mois par quatorze hommes, âgés de 18 à 27 ans à l’époque des faits.
Mardi 21 septembre, le tribunal de Béni Mellal a condamné onze des quatorze tortionnaires de Khadija à une peine de vingt ans de prison. L’un d’eux, mineur au moment des faits et placé en détention depuis 2019, a été condamné à trois ans de réclusion criminelle. Un autre accusé a écopé d’une peine de deux ans de prison ferme, et le dernier a quant à lui été condamné à un an de prison avec sursis.
Un verdict suffisamment rare pour être salué, mais pour autant, la partie civile souhaite faire appel pour obtenir une peine de 30 ans, soit la peine maximale pour les chefs d’accusation émis contre la bande barbare. «Traite d'être humain sur mineure», «viol», «menace de meurtre», «torture et usage d'arme causant des blessures et séquelles psychiques», «constitution d'une bande organisée, enlèvement et séquestration», «non-dénonciation de crime» et «non-assistance à personne en danger»… Oui, 30 ans, ça les vaut bien.
Victime d’un crime innommable, Khadija, qui ne s’en rend peut-être pas compte, est aujourd’hui devenue une icône, une source d’inspiration et de force pour les femmes en général et en particulier pour les victimes d’agressions sexuelles qui hésitent à dénoncer leurs bourreaux.
En racontant son histoire, en dévoilant dans une vidéo les brûlures de cigarettes, les entailles et les tatouages qui parsemaient son corps comme autant de visions cauchemardesques gravées dans sa chair meurtrie par ses agresseurs, Khadija a fait preuve d’un immense courage.
On ne le sait que trop bien, dans notre société marocaine comme partout dans le monde, les victimes gardent généralement le silence, au risque de passer pour les coupables et d’être clouées au pilori des bonnes mœurs. Ce n’est pas pour rien qu’au Maroc, si 54,4 % des femmes ont été victimes de violences, selon la dernière enquête nationale du ministère de la famille publiée en mai 2019, 28,2 % seulement des femmes violentées se sont adressées à une personne ou à une institution, et 6,6 % ont porté plainte contre leur agresseur.
Ce moment où une certaine opinion publique se ligue contre vous, Khadija l’a vécu. Soutenue par une grande majorité de Marocains, la jeune fille a aussi fait l’objet d’une véritable campagne de diffamation menée à l’origine par les familles des agresseurs, visant à mettre en doute la véracité de son témoignage. C’était une dévergondée, une fille qui sortait avec des garçons, qui avait suivi de son plein gré ses prétendus agresseurs, qui buvait de l’alcool, qui fumait... Les brûlures de cigarettes? Elle se les serait infligées elle-même. Quant aux tatouages, ils seraient anciens… Sur les réseaux sociaux, où pullulent les experts en tout genre, tout le monde y allait de sa version de l’histoire.
Le doute et la suspicion sournoisement distillés auquel il va falloir faire face quand on est victime de viol ne sont toutefois qu’un écueil parmi tant d’autres ici comme ailleurs. La religion, ou plutôt la perception que l’on en a, fait partie au Maroc des principaux obstacles à la reconnaissance du statut de victime. En dénonçant ses agresseurs, Khadija s’est attaquée à quelque chose de plus important encore, la volonté divine, comme en témoignent les propos tenus par son père dans la presse. «Le mercredi 15 août, deux garçons l'ont ramenée. Elle m'a dit: “Père, on m'a séquestrée et violée sauvagement.“ Elle est allée raconter son calvaire aux gendarmes le lendemain. Moi, je ne peux incriminer personne car je ne sais pas ce qu'il s'est passé à part qu'ils ont pris ma fille et ont abusé d'elle. Ses agresseurs ne sont pas mes ennemis, ce qui s'est passé est la volonté de Dieu», explique ainsi le père de Khadija en septembre 2018.
La religion, ou encore une fois l’idée que l’on s’en fait, est aussi mise en avant pour atténuer la peine des familles et on ne confère le statut de victime incontesté, et de martyre, que quand mort s’ensuit. Ainsi, seule la mort semble absoudre la victime des doutes émis à son encontre. Dans le cas de Hanane, violée et tuée en 2019 au détour d’une rue après que son calvaire a été filmé par ses agresseurs, aucune voix ne s’est élevée pour la décrédibiliser.
En plus de braver ces tabous, Khadija a aussi appelé les victimes à parler, à briser cette omerta qui musèle les femmes lorsqu’elles sont victimes d’agressions et comme elle, à dénoncer, et à porter plainte. Sa parole a été entendue et en 2018, suite à son agression, est né le collectif #masaktach, pour dénoncer la culture du viol et les violences subies par les femmes au Maroc.
D’autres initiatives ont vu le jour, portées par la même impulsion, à l’instar du compte instagram «la vie d’une Marocaine», VDM, où sont publiés des témoignages de femmes qui dénoncent les différentes agressions dont elles ont fait l’objet, et qui rassemble aujourd’hui une communauté de plus de 37.000 followers.
#TaAnaMeToo, une série de vidéos coup de poing produites par le studio créatif marocain Jawjab, poursuit également l’objectif de briser l’omerta qui entoure les agressions sexuelles au Maroc.
Au Maroc, la parole se libère, timidement, mais toujours de façon anonyme. C’est un petit pas qui a son importance dans la reconnaissance du statut de la victime mais cela n’est toutefois pas suffisant. Car en attendant que les mentalités évoluent, il est indispensable d’établir des politiques de zéro tolérance à l’égard du harcèlement et de la violence sexuels.
En effet, la culture du viol est confortée par l’absence ou la non-application des lois destinées à lutter contre la violence faite aux femmes, mais aussi, comme le note ONU Femmes, les autres lois discriminatoires relatives à la propriété, au mariage, au divorce et à la garde des enfants. Pour mettre fin à la culture du viol, les auteurs doivent systématiquement payer pour leurs actes, car poursuit le même organisme, en poursuivant les cas de violence sexuelle, nous reconnaissons ces actes comme des crimes et envoyons un message fort, de tolérance zéro.
Cette politique doit aussi s’accompagner d’un travail de sensibilisation à l’égalité des sexes, d’éducation sexuelle dans les écoles, nous explique-t-on… Tout cela est certes indispensable mais ne vaudra rien au Maroc tant que l’article 490 du code pénal ne sera pas abrogé.
La criminalisation des relations sexuelles hors mariage est en effet un obstacle majeur à la prise de parole des femmes victimes de violences sexuelles car dénoncer un viol, c’est prendre le risque de se retrouver poursuivie pour relations sexuelles hors mariage.