Le PJD s’interroge toujours sur les raisons de sa déroute lors des élections législatives du 8 septembre 2021. Il est passé de 107 députés aux élections législatives de 2011 à 125 députés en 2016. Mais il s’est effondré en 2021 en se retrouvant avec 13 députés.
Et ce ne sont pas les récentes défaites des candidats islamistes lors des élections partielles de septembre 2022 qui permettront au parti de surmonter sa profonde crise. Et ce, malgré des meetings de soutien aux candidats PJD pour les élections partielles à Casablanca, où l’ex-maire Abdelaziz El Omari, actuel secrétaire général adjoint du PJD, a revendiqué un bilan, selon lui, «positif» en matière culturelle. Il a été épinglé à ce sujet par les médias, et Le360 en a fait part dans un article du 20 septembre.
Plus d’un an après, le parti n’a pas encore retrouvé ses marques au sein du champ politique marocain restructuré. Malgré ses sorties langagières populistes, qui n’ont plus le même effet qu’avant, Abdelilah Benkirane n’a pas réussi à consoler le parti de ses déboires.
Au sein du PJD, certains ont expliqué le recul par des causes extérieures selon la terminologie usuelle de l'usage de l’argent et autres interventions. D’autres, plus lucides, ont mis l’échec sur le compte de «défaillances internes». Parmi ceux-là, Abdelilah Benkirane a évoqué «notre incapacité à comprendre et à adapter notre société». Un aveu somme toute honnête!
En fait, si le parti a été électoralement majoritaire pendant deux mandats parlementaires (10 ans), c’est surtout grâce à l’appui des électeurs des classes moyennes urbaines (pas nécessairement affiliés ou encartés PJD), ceux-là mêmes qui se sont éloignés de lui en 2021 et ont provoqué son recul historique.
Croisade contre les arts et la cultureIl y a également une cause qui aurait dû être intégrée dans l’analyse globale et qui conforte, à juste titre, ce qu’a dit Benkirane. C'est-à-dire cette «incompréhension» du parti vis-à-vis d’une société en évolution et qui s’est traduite aussi par cette relation non clarifiée du PJD avec la culture et les arts. Bien évidemment, elle ne peut être considérée comme la cause principale du désaveu électoral, mais elle a créé un climat tendu face à certaines attitudes rigides de ce parti.
Certes, les leaders du parti ne se sont pas exprimés publiquement à ce sujet, mais plusieurs militants anonymes ou sympathisants de l’islamisme populiste ont laissé entendre que les expressions artistiques relèvent de la «futilité», que l’art doit être «propre». Et que «remplir les théâtres, les cinémas, les conservatoires de musique, les galeries d’exposition, les centres culturels, les maisons de jeunes, les salles de concert, etc., c’est vider les lieux de culte». Bien sûr, tout cela n’est pas affiché, ni transformé en mots d’ordre, mais c'est diffusé subtilement.
A cela s'ajoutent aussi les orientations du Mouvement de l’unicité et de la réforme (le MUR, matrice idéologique du PJD) mené par de vénérables dévots, souvent très âgés, qui regardent d’un œil ombrageux les domaines de l’art, considérés comme un obstacle à la prédication.
On verra que les élus locaux islamistes du PJD, après avoir remporté les élections communales de 2015 dans les grandes villes (Casablanca, Rabat, Salé, Fès, Agadir, Meknès, Kénitra, Marrakech et Tanger) se sont retrouvés avec la lourde charge de gérer la «culture de proximité» dans ces grandes agglomérations, mais 6 ans plus tard, leur bilan est loin d’être positif.
Par incompétence ou omission volontaire, les «politiques municipales culturelles» des conseils à majorité PJD furent ternes et insignifiantes, y compris dans les zones périphériques des grandes villes, où les attentes et les besoins sont énormes en matière d’animation culturelle.
Le sens de la culture décentralisée (adossée à une charte communale qui donne toutes les prérogatives et les moyens aux conseils élus) n’a pas été bien compris par les élus du PJD qui ont tourné le dos à la diversité de la société marocaine. Ils n'ont pas compris non plus le message de l'Etat, qui place la culture au cœur du «développement humain», déploie des politiques de soutien massif à la culture et aux arts et édifie des infrastructures et équipements culturels majeurs.
Des exemples précis au niveau de Casablanca montrent que la relation des élus islamistes avec les arts et la culture n’a jamais été sereine (y compris avec les arts populaires ou traditionnels qui font partie du patrimoine).
On commencera d’abord par ce constat de Nabila Rmili, la maire de Casablanca, qui, en juillet dernier, a annoncé aux nouveaux élus du Conseil de la ville que «500 millions de dirhams ont disparu des programmes culturels et sociaux des seize arrondissements de la mairie de Casablanca». Ces ressources dédiées à l’action culturelle et sociale et non dépensées sous l’ancienne majorité PJD du Conseil sont la preuve du peu d’intérêt de ce parti pour la culture.
Les complexes culturels ont ainsi dépéri. L’entretien a été fortement réduit et les équipements sont devenus obsolètes. Toutes ces difficultés ont impacté la programmation des activités.
Islamiser tous azimutsLes élus communaux, membres des commissions des affaires culturelles, se sont appropriés la programmation, en lieu et place des responsables et animateurs des complexes culturels. Ils ont favorisé les activités qui avaient un cachet dévotieux. Pourtant, l’un n’empêche pas l’autre, car la société marocaine est marquée par le pluralisme.
Des artistes ont été découragés de présenter des projets artistiques ou des spectacles. Même l’Orchestre philharmonique du Maroc a évité de se produire dans ces complexes culturels devenus méconnaissables, préférant se produire dans des salles de cinéma. On citera également les retards abusifs dans le versement des honoraires aux professeurs de musique dans les conservatoires communaux et aux professeurs d’arts plastiques rémunérés sur le budget communal.
Il y a même un complexe culturel à Casablanca où un ex-président PJD du conseil d’arrondissement a eu l’idée saugrenue d’aménager un espace de prière juste sous la scène de la salle de théâtre. Un endroit inapproprié. Et pourtant, il y a un espace de prière aménagé à l’entrée du complexe culturel. Cela ne relève pas de l’anecdote, mais révèle un profond malaise avec le fait culturel.
Un autre ex-président de conseil d'arrondissement PJD a voulu programmer un meeting de soutien «frériste», en 2018, dans un autre complexe culturel, au controversé Tarik Ramadan, sans respect des procédures réglementaires, ni informer la direction du complexe culturel. Drôle d’emploi d’un complexe culturel.
Rappelons également cette réaction d’un des leaders de ce parti qui, face à la proposition du CCM (Centre cinématographique marocain, alors sous le mandat de feu Nourredine Saïl) de numériser les salles, s’est interrogé si le cinéma n’était pas un outil pour combattre son parti. Il y a aussi eu des campagnes contre le Festival international du film de Marrakech.
Et que penser de ces retards inexplicables qu’ont connus les travaux d’aménagement de l’ex-église du Sacré-Cœur à Casablanca, transformée en complexe culturel? Les crédits ont été alloués en 2016 et les travaux devaient s’achever en 2018. Le chantier est toujours en cours. Un élu PJD de l’ancienne majorité avait même proposé d’abandonner la vocation culturelle de l’ex-église et de la transformer en mosquée.
Le PJD a souvent confondu «majorité arithmétique électorale» et «majorité sociétale». Il pensait avoir reçu un quitus des électeurs pour imposer sa vision parce que quelque 1.600.000 électeurs avaient auparavant voté en sa faveur. Il n’a pas non plus défini son projet culturel. Il ne fait qu’évoquer vaguement «un système de valeurs revisité et consolidé, fondé sur l’islam, (…) une liberté responsable et une créativité citoyenne pour une identité marocaine renouvelée».
Mais suite aux élections de 2021, le PJD, qui a perdu 75 % de ses électeurs urbains, s’est retrouvé avec sa matrice électorale initiale. Un noyau de militants et de sympathisants représentant à peine 323.000 voix sur 8.786.080 suffrages exprimés. Ce qui lui a juste permis d’obtenir 13 sièges de députés.
Enfin, on soulignera que les autres partis politiques, des autres tendances, ne font pas mieux en matière de «politiques municipales culturelles». Mais, avec eux, au moins, les complexes culturels commencent à être restaurés et entretenus et sont considérés de nouveau par les populations comme des espaces de formation et de divertissement.