Pendant que tout le Maroc retient son souffle devant chacun des matchs, le pays continue d’espérer davantage de pluie et la population ne cesse de constater combien les prix des choses ont augmenté.
La grande solidarité de tout un peuple mettant tous ses espoirs entre les mains, ou plutôt entre les pieds des Lions de l’Atlas, est émouvante. On sait l’impact des victoires et aussi des échecs du football sur le moral d’un pays. Mais ce moral, juste après la fête, redevient bas quand on s’en va faire les courses.
Le litre d’essence et de gasoil affiche un prix indécent, vu le pouvoir d’achat du Marocain. La volaille a doublé son prix, sans parler de certains fruits et légumes qui se vendent au prix fort.
On nous dit: c’est la faute à Poutine; c’est à cause de la guerre en Ukraine. Peut-être, mais les grands producteurs de ce qui se vend au marché sont des patrons marocains. Certes le prix du transport a augmenté à cause de cette guerre et pas seulement chez nous. Mais pourquoi certains profitent de cette tension internationale pour augmenter les prix des choses? Ils auraient pu être plus cléments, et accepter de gagner un peu moins d’argent. Mais l’homme est ainsi, plus il est riche, plus il veut être encore plus riche. Jamais rassasié.
Passons.
J’ai été témoin l’autre jour, à Tanger, d’un petit drame qui en dit long sur la précarité d’une partie de la population.
La dame qui travaille chez mon voisin, une femme d’un certain âge, une personne de qualité, est allée au marché remplir deux couffins de provisions pour la semaine: viande, poisson, volaille, fruits et légumes etc.
Pour rentrer à la maison elle était obligée de prendre un petit taxi vert. Elle l’a arrêté. Le chauffeur lui dit, tes couffins, tu les mets dans le coffre, sinon ça va sentir le poisson dans mon taxi toute la journée. Ce qu’elle fit. Durant le trajet, la discussion tourna autour des prix élevés des choses.
Arrivée à destination, elle règle la course, descend pour récupérer ses deux couffins, voici que le taxi redémarre à toute vitesse, laissant la pauvre dame sur le trottoir en train de crier «au voleur, au voleur!». Elle revint chez mon voisin en larmes et lui explique ce qui venait de se passer. J’étais chez lui en train de prendre un café. Nous étions atterrés, ne sachant quoi dire ni quoi faire. La dame n’a pas eu le temps de relever le numéro du taxi. Après avoir séché ses larmes, le voisin lui redonna de l’argent pour faire de nouveau les courses et cette fois-ci, il lui a dit: «ne te sépare pas de tes couffins».
Cette histoire m’a fait de la peine. D’abord parce que la dame est une femme sérieuse et intègre; elle a été blessée, volée en plein jour, humiliée. Ensuite, j’ai pensé au chauffeur du taxi. Sa condition doit être bien misérable pour recourir à ce vol minable.
On ne va pas attribuer ce vol à la tension mondiale, mais la pauvreté est souvent mauvaise conseillère.
Le vol organisé par des bandes installe une insécurité dans certains quartiers. Quant au vol avec agression, c’est devenu si banal que la police n’enregistre même pas votre plainte.
Au «plus beau pays du monde» comme j’aime le rappeler, il y a des réalisations formidables, des potentialités exceptionnelles, mais aussi des failles, énormes, des situations tristes, malheureuses, des manques aberrants et puis une peur, une angoisse du lendemain surtout pour les personnes âgées qui n’ont pas les moyens de s’adresser à des cliniques pour se faire soigner. La réalité est amère. Nous avons tous été un jour témoins de ces drames où la précarité fait mal et nous ramène à un constat bien triste. Le pays avance, mais pas pour tout le monde.