C’est à Beyrouth que j’ai lu le discours historique prononcé par le roi Mohammed VI. Un appel sincère et fort. Ce n’est pas anodin d’en avoir pris connaissance dans cette ville qui a tant souffert et qui porte encore les traces d’une guerre atroce et stupide.
Une question se pose cependant. Est-ce que la sagesse, la raison, l’intelligence sont audibles aujourd’hui chez nos voisins de l’Est ? Un ami, journaliste libanais, excellent observateur de la politique au Proche-Orient et au Maghreb m’a dit que la stratégie du roi est bonne et qu’il a eu raison de tendre la main à l’Algérie. Cependant il doute que ce pays prenne la balle qui est dans son camp et entame un travail de règlement et d’assainissement de la situation anormale qui dure depuis plus de quarante ans. Ce point de vue est assez répandu dans les milieux diplomatiques. Question d’orgueil et persistance de mauvaises habitudes.
En même temps j’ai rencontré à Beyrouth un sage, un homme qui a fait la guerre civile et a participé à l’horreur qui a eu lieu dans le Liban entre 1975 et 1990. Qu’importe sa confession ou son appartenance politique. Il m’a appris qu’il a rédigé avec d’autres hommes de confession différente un texte, appelé «Le Manifeste de Beyrouth». Ce qui est intéressant c’est que des hommes qui se sont combattus férocement, se soient retrouvés aujourd’hui, mettant entre parenthèses leur appartenance religieuse ou idéologique, pour alerter la jeunesse contre la stupidité de la guerre. Il m’a dit en substance ceci: avec la guerre, nous avons été jusqu’au bout de la violence, et au bout, on n’a rien trouvé. Autrement dit, on se bat et on découvre que les tueries n’apportent rien de bon et que la violence ne donne naissance à rien de valable.
La manchette en haut à droite du quotidien «Annahar» porte la promesse de son ancien directeur Jabrane Touaini, mort assassiné, rédigée ainsi: «je jure devant Dieu, que musulmans et chrétiens, resteront unis à jamais défendant le Liban magnifique».
Aujourd’hui, le Liban garde un peu partout les stigmates de la guerre. Mais la vie continue et la mémoire blessée de quinze ans d’horreur se repose dans des maisons criblées de balles. Mais tout le monde sait que la violence pourrait reprendre n’importe quand. C’est pour cela que «Le Manifeste de Beyrouth» est un symbole important qui pourrait nous être utile, à nous autres Maghrébins. Ecoutons les Libanais qui ont tant souffert et qui, au bout du compte, n’ont rien gagné si ce n’est des morts par milliers.
J’ai médité ces idées et je me suis dit, et si des hommes de bonne volonté des cinq pays du Maghreb écrivaient «Le Manifeste du Maghreb»? En attendant, pourquoi ne pas chuchoter dans l’oreille des dirigeants algériens que la haine et l’animosité ne mènent à rien, que la fraternité concrète, la solidarité réelle pourraient sauver tout le Maghreb surtout en cette époque où l’Europe se replie sur elle-même dans un populisme inquiétant parce qu’il prépare un nouveau fascisme, et que l’Amérique de Trump et le Brésil de Bolsonaro n’augurent rien de bon pour la planète.
Soyons modestes, laissons de côté cette fierté mal placée, cet orgueil ridicule et pensons à l’avenir de nos générations vives et pleines d’espoir. Ouvrons les frontières et commençons par nous parler.
C’est peut-être une prière inutile, un vœu pieux, mais rendons hommage à Mohammed VI qui a parié sur l’intelligence et la raison des dirigeants algériens pour aller de l’avant et construire un Maghreb différent et semblable, uni et volontaire, solidaire et riche de toutes les potentialités de sa jeunesse et de ses peuples.