«Ma mère ne viendra pas en France», tel est le titre d’un article que j’avais publié dans le quotidien Le Monde. J’expliquais que les services consulaires de Tanger avaient demandé tellement de documents pour que ma mère, illettrée, puisse venir en France voir sa petite-fille, qu’elle y avait renoncé.
C’était en 1987. Jacques Chirac, alors Premier ministre, avait lu l’article. Il me fit savoir que ma mère serait la bienvenue si elle voulait venir en France. Il savait pertinemment qu’elle n’allait pas prendre le travail d’une Française ni perturber l’ordre public.
C’était une autre époque. C’était une époque où les hautes autorités françaises étaient attentives au Maroc. Il y avait des relations amicales entre les chefs d’Etat, des ambassadeurs de haute qualité, et une volonté sincère de coopération avec notre pays. Il y avait de l’amitié et de la considération.
Aujourd’hui, rien de tout cela.
Ce que j’ai entendu cet été dans mon pays à propos de la France est inquiétant. Non que je veuille défendre la politique française, mais je constate que Macron fait une erreur en misant sur une éventuelle réconciliation avec l’Algérie, sacrifiant les liens traditionnels avec le Maroc, un pays stable, qui a été un protectorat et de ce fait n’a pas de «rente mémorielle» à exploiter pour culpabiliser la France. Il fait une erreur car la pratique du français recule et les élites se dirigent vers les pays anglo-saxons.
Une note confidentielle aurait été adressée à Macron, lui conseillant de «maltraiter le Maroc et la monarchie». Intox ou info? Je ne sais pas. Le fait est que Macron n’a fait aucun geste pour apaiser la tension existante entre les deux pays.
D’après des informations que j’ai pu recueillir auprès de personnes travaillant avec le président, ce dernier ne décolère pas depuis que les médias ont affirmé que le Maroc l’aurait fait écouter par le logiciel-espion Pegasus.
Sans vérifier si c’est vrai ou faux, Macron en veut à notre pays. Pourquoi le Maroc aurait placé des écoutes sur le téléphone de ce chef d’Etat? Quel intérêt y aurait eu le Maroc? De toute façon, cette histoire d’écoutes n’est pas nette. Quoiqu’il en soit, le Maroc est puni.
Ce que les renseignements français devraient dire à l’entourage de Macron, c’est que la «punition-visas» est une erreur dans la mesure où elle a frappé des personnalités importantes (un ancien ministre, un procureur du Roi, des professeurs de médecine, des artistes, des sportifs, etc.). Le peuple quant à lui, se détourne non sans joie de la France, de sa langue, de sa culture, de ses produits etc.
L’humiliation a touché beaucoup de citoyens devant se rendre en France pour des affaires sérieuses.
Ce qui est par ailleurs inquiétant, c’est que la langue française est de moins en moins utilisée aussi bien au Maroc que dans les institutions internationales ou groupes privés.
Le prestigieux Prix Goncourt a couronné ces dernières années des écrivains non français «de souche». Le dernier Prix Goncourt, Mohammed Mbougar Sarr n’a même pas la nationalité française, mais il porte haut cette langue et sa littérature l’enrichit. Il en est de même d’Andreï Makine (Russe), d’Amin Maalouf (Libanais), de Atiq Rahimi (Afghan), de Leïla Slimani (Marocaine). Ces romanciers ont contribué à faire vivre la langue française un peu partout dans le monde.
Autre fait: Macron a cru bien faire d’annoncer, en réponse à une question d’un homme dans la rue, «j’irai au Maroc fin octobre».
Renseignement pris auprès des autorités compétentes marocaines: le Maroc ne l’a pas invité. Il croit qu’il peut débarquer dans ce pays comme un simple touriste qui viendrait profiter du soleil d’Agadir.
La visite d’un chef d’Etat, cela se prépare conjointement pendant des mois. Cette légèreté prouve combien Macron ne mesure pas la gravité de la situation.
Je sais aussi que Sa Majesté a refusé de le voir lors de son séjour à Paris. Macron devrait comprendre que tant de gaffes et de négligence nuisent à sa propre image et finalement le desservent à plus ou moins long terme.
Les 9 et 10 octobre prochains, la première ministre Elisabeth Borne se rendra à Alger pour parler avec son homologue. Tant mieux si les relations franco-algériennes prennent le chemin de l’apaisement.
P-S. La disparition d’une grande dame, une belle âme, une mère courage, Aïcha Ech-Chenna, est une immense perte pour le Maroc, pour des milliers de familles dont elle s’est occupée ou dont elle s’occupait encore. Elle a consacré toute sa vie aux autres, sans compter, sans jamais hésiter à venir en aide à celles et ceux qui étaient dans des difficultés.
Je suis certain qu’un jour, un mausolée lui sera consacrée, car c’est une sainte, une dame qui fait baisser les yeux à tout le monde par sa seule présence, par sa volonté et son exigence de justice et de liberté.