Que faisons-nous de nos petits philosophes?

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.. KF Corporate

ChroniqueSoit on leur ouvre des horizons infinis de questionnement, soit on les noie immédiatement sous le béton des dogmes et des certitudes.

Le 31/03/2021 à 11h00

L’autre jour, à Mohammedia, ma petite nièce (cinq ans) me dit:

– C’est vrai que tu es un écrivain?

Puis, sans m’accorder le temps de répondre:

– Eh bien moi, je suis une artiste.

Et elle me montra le dessin qu’elle venait de finir et qui ne manquait pas, ma foi, d’énergie et de couleur.

Lina n’est pas unique, tous les enfants sont des artistes. Ce qu’on sait moins, c’est qu’ils sont aussi philosophes. Dans son Introduction à la philosophie, Karl Jaspers rapporte ce mot d’enfant: «j’essaie parfois de penser que je suis un autre. Mais à ce moment-là, je suis quand même moi, non?»

Jaspers en déduit que cet enfant a spontanément énoncé la pensée philosophique de la conscience du moi, du cogito. Descartes a bâti tout son système là-dessus. L’Histoire de la philosophie en a été changée à jamais.

Un autre enfant, à qui on lisait la Genèse –«au commencement, Dieu créa le ciel et la terre…»– demanda immédiatement: «Et qu’y avait-il donc avant le commencement?»

Ainsi, écrit Jaspers, le moutard a mis en pratique ce principe philosophique: l’entendement ne connaît pas de borne à ses investigations. On peut même parler de ce qu’on ne peut connaître. Kant se profile derrière cet enfant.

Bref, conclut Jaspers, les enfants sont spontanément philosophes.

Très bien. Les artistes en herbe, on les encourage, on leur achète des crayons de couleur, des gouaches, du papier. La petite Lina exposera un jour à l’Atelier 21 ou à Beaubourg. Mais les petits philosophes, on en fait quoi?

Eh bien, il y a deux possibilités: soit on étouffe ces mots d’enfant (qui sont de profonds questionnements), soit on les stimule.

Autrement dit, soit on les prend au sérieux, on les accompagne, on leur ouvre des horizons infinis de questionnement, on les oriente vers des lectures utiles; soit on les noie immédiatement sous le béton des dogmes et des certitudes.

Nous avons entre les mains des philosophes miniatures. Qu’en faisons-nous? Tout le problème de l’instruction et de l’éducation est là. Toute réflexion sur le rôle de l’école commence là.

Et vingt ans plus tard, nous avons la société que nous méritons.

Par Fouad Laroui
Le 31/03/2021 à 11h00

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Magnifique cours de philo plein de concision. La conclusion est un paradigme digne d'être inscrit sur les frontispices de tous les "ministères" de l'éducation nationale de la planète. C'est la plus belle conclusion qu'un enseignant puisse offrir à nos responsables.

Tout à fait de nombreux étudiants manque de cet enseignement Sblarpsor Surveille.

“ « En effet, si je me trompe, je suis… Et de la même manière que je connais que je suis, je sais aussi que je me connais » Saint Augustin

Malheureusement notre société et nos écoles découragent tout questionnement et toute réflexion qui peut ébranler leur certitudes. On crée ainsi un peuple de moutons de panurge. Toute personne qui ne suit pas les règles et les traditions peut être taxée d'anormal voir même de fou.

J'avais demandé à un étudiant de l'Afrique de l'ouest pourquoi il porte deux prénoms, l'un musulman et l'autre chrétien. Il m'a répondu que sa mère est chrétienne et son père est musulman et que, dans les cas pareils, les enfants, une fois majeurs, ont le choix d'opter pour l'une ou l'autre des deux religions. J'ai trouvé très sage de laisser aux enfants la liberté de croyance, une fois développée leur capacité de discernement. Cela m'a rappelé un projet de loi, je crois en Suisse, pour interdire aux parents de marquer religieusement leurs bébés. Ce projet visait, principalement,la circoncision des garçons, chez les familles musulmanes et juives. Ce projet n'a pas abouti,tellement le lobby des fils d'Abraham était puissant !

Bjr professeur.Quand j'étais petit,j'ai reçu une belle claque de mon père car j'avais crié en plein déjeûner et devant toute la famille:"Il y a une mouche qui monte sur une autre."Pour le father,c'était une obscénité.Il a malheureusement raté une belle occasion de faire de moi un scientifique en me félicitant pour mon sens de l'observation et en m'expliquant scientifiquement ce qu'est l'accouplement.Beau- -coup de parents et d'enseignants ont fait de même et ont détourné plusieurs petits d'une belle carrière scientifique alors qu'il suffisait d'un simple encouragement ou d'une simple explication pour les lancer dans le monde merveilleux des sciences et de la philosophie.Bonne journée.

Ssi Hassan, "الله يهديك 🤔" vous ne vous attendiez tout de même pas, à ce que votre père vous dise :تبارك الله على وليدي، qui a bien "observé" une mouche en train de ni.... une autre?????

Malheureusement qui répondra à sa question cet enfant ? un père ou une mère â qui personne n'a jamais répondu à leurs questions. La chaîne de l'ignorance doit être cassée sinon on avancera jamais. Merci Monsieur Laroui, quel plaisir de lire vos chroniques

Un cours de philo en quelques lignes...et quelle chute! Bravo Mr Laroui.

Tout à fait d'accord! Mon cher Fouad

Oui c’est le défi colossal de notre pays ,éduquer ces philosophes en herbe pour un Maroc meilleur ! Education! C’est le mot maître !

Brillant ! Tu es le bienvenu au lycée Louis Massignon pour en parler de vive voix avec nos futurs philosophes !!

Bjr professeur.Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants?Malheureusement,les grandes personnes l'oublient souvent et briment les petits artistes-philosophes ou dans les meilleurs des cas les détournent d'un bel avenir. Salut.

Toujours aussi clairvoyant et lucide... Merci.

Trés belle réflexion!!!!!

Vous avez raison, Mr Laroui, l'alternative est ouvrir l'esprit de l'enfant... ou le fermer.

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