Vous vous souvenez? C'était il y a quelques mois, c'est-à-dire il y a des siècles. Agglutinés dans les cafés ou affalés sur nos canapés, nous admirions Ronaldo. Qui? Mais si, souvenez-vous: ce footballeur portugais arrogant, narcissique et qui se prenait pour le centre du monde.
Vous me dites:
– Oui, mais il avait du talent.
Quel talent? Celui de courir un peu plus vite qu’un autre? D’avoir une détente verticale de quelques centimètres de plus que son cousin? De taper comme un sourd dans un ballon?
Il attirait tous les regards –et les dollars. Pendant ce temps, médecins et infirmières se dévouaient au quotidien pour sauver des vies. Un ami anesthésiste de Marrakech avait calculé qu’il gagnait en un an ce que Ronaldo touchait en… une demi-journée. Et personne ne semblait trouver cela scandaleux.
Vous vous souvenez? C'était il y a quelques mois, c'est-à-dire il y a des siècles. Exorbités at home ou parqués dans les cybercafés, ils admiraient l’anatomie d’une certaine Kim Kardashian, célèbre parce que célèbre. Aucun talent particulier, pas l’ombre d’un fait remarquable, à peu près illettrée mais riche à milliards parce que “suivis”, elle et son postérieur, par des millions de bécasses et d’abrutis.
Pendant ce temps, chercheurs et laborantins travaillaient d'arrache-pied pour mettre au point des médicaments, des vaccins, des traitements. On les récompensait en les payant chaque mois l'équivalent d’une paire de chaussures de la nullité kardachiante.
Vous vous souvenez? C'était il y a quelques mois, c'est-à-dire il y a des siècles. Nous admirions des histrions de troisième zone, des youtubeurs, des flambeurs, des moul l’Ferrari, des escrocs vendeurs d’eau magique…
Pendant ce temps…
Mais à quoi bon continuer? Le réveil a été rude. C’est Ronaldo, c’est Kim Conne, c’est l’influenceuse maquillée à la truelle qui vont nous sauver la vie? Espérons que cette crise rétablira une fois pour toute la vraie échelle des valeurs.
En tout cas, voici une proposition concrète: décrétons que pas un footballeur, pas une influenceuse, pas un président de commune ne touchera un centime de plus par mois que mon ami anesthésiste –qui leur aura peut-être sauvé la vie entretemps.
Et tant pis si nous ne gagnons pas la Coupe d’Afrique, si nous sommes vêtus comme l’as de pique, si notre président de commune ne roule pas en Mercedes.
Au moins, nous vivrons dans une société qui aura enfin compris qui sont ses véritables héros.