Mai 1962. «Un mois après (…), le professeur Ben Tabrit, de l’Université de Marrakech, inventa l'accumulateur des vents. L’appareil est devenu si familier à tous les peuples de la Terre qu’il est inutile de le décrire. Le principe était simple. Grâce à un accumulateur très pratique, basé sur la décomposition de l’eau et sur l’emploi de l'hydrogène liquide, il devenait possible d’emmagasiner la force des vents et d’obtenir ainsi une énergie infiniment moins coûteuse que celle du pétrole et du charbon.»
Continuons de lire. «Parmi les articles publiés au début de cette campagne (…), un des plus remarquables fut celui de Ben Tabrit, doyen de la Faculté des Sciences de Marrakech. Ben Tabrit était un homme sombre, qui menait une vie retirée; il sortait rarement de son laboratoire. Il étonnait, dès qu’il intervenait dans un débat, par la vigueur et par l'originalité de ses idées. Il avait écrit son article en réponse à une brochure d’un professeur Benxley, de Cambridge.»
Bon, arrêtons le suspense. Ce qui précède est tiré d’un conte fantastique d’André Maurois, publié en 1929 sous le titre Deux fragments d’une Histoire universelle. L’intrigue elle-même n’est que moyennement intéressante pour qui n’est pas un fan de science-fiction, mais l'apparition de ce grand savant marocain m’a surpris –et même ravi. Rappelons qu’en 1929 le Maroc est sous Protectorat français, qu’il ne compte que quelques bacheliers, qu’à part la vénérable Qarawyine de Fès il ne compte aucune Université et certainement pas de faculté des sciences. L’immense majorité de la population est analphabète.
Et pourtant, quand il imagine l’avenir, Maurois voit un savant marocain dominer le champ et tenir la dragée haute à un professeur de Cambridge.
André Maurois n’est pas n’importe qui. Né Émile Salomon Wilhelm Herzog, ce grand bourgeois issu d’une famille juive assimilée fera une belle carrière littéraire, en France et dans le monde. En 1929, il aurait pu imaginer l’Europe et les États-Unis dominer le monde pour les siècles à venir. Mais non. Parce que c'était un homme cultivé, il savait que les sciences avaient été florissantes dans le monde arabo-musulman entre le VIIIe et le XIIe siècle. Parce que c'était un humaniste, il n’excluait personne de l’espèce humaine. L’avenir appartenait à tout le monde.
On remarquera d’ailleurs qu’en 1929 André Maurois créditait un Marocain de l’invention d’une pile à hydrogène, ce qui est aujourd’hui, cent ans plus tard, le projet d'énergie propre sur lequel se penchent fiévreusement les chercheurs du monde entier. Ohé, mes amis de l’UM6P et des facultés des sciences de Marrakech, de Rabat ou de Casablanca! Pensez à Ben Tabrit et n’ayez aucun complexe!