Du temps que j’enseignais l’économie, j’avais découvert avec intérêt l’œuvre de William Baumol. En 1967, ce professeur américain avait publié dans la prestigieuse American Economic Review un article détaillant ce qui fut baptisé par la suite “la loi de Baumol“. Prenons un exemple pour l’illustrer. Soit un ouvrier et un chanteur d’opéra. La productivité du premier croît sans cesse, grâce à l’automatisation, à l’informatique, aux nouvelles méthodes de gestion, etc., mais la productivité du second reste toujours la même: on ne peut pas exiger de José Carreras qu’il chante l’air du toréador de Carmen («Songe en combattant/ Qu’un œil noir te regarde/ Et que l'amour t’attend») de plus en plus vite chaque année. Par conséquent, le service produit par le ténor devient chaque année plus cher relativement à ce que produit l’ouvrier. L’artiste brasse de l’air, certes, mais il produit des trémolos de plus en plus coûteux.
Les prestations du ténor devenant hors de prix, il est nécessaire de subventionner le billet d’entrée: tous les opéras du monde émargent au budget de la ville ou à celui du ministère de la Culture. C’est pourquoi on parle parfois du “mal de Baumol“. Avis aux futurs gestionnaires de nos splendides théâtres de Casa et de Rabat.
Qu’en est-il des footballeurs? Le raisonnement est le même. Si en vingt ans la productivité du secteur industriel double, l’ouvrier fournit en 90 minutes deux fois plus qu’il y a vingt ans, mais Messi ou Ziyech continuent de ne jouer, pendant le même laps de temps, qu’un seul match de foot. Ce qu’ils produisent est donc devenu deux fois plus cher que ce que produit l’ouvrier.
Une fois qu’on a compris que les salaires indécents que touchent les footeux sont une conséquence de la loi de Baumol, une solution se présente à l’esprit: il suffit d’accroître la productivité des footballeurs.
Comment? me demandez-vous.
Simple. (Il suffit de demander.) Si la productivité du secteur industriel a crû de 3%, on élargira la cage du keeper de 3% et on réduira la durée de la partie de 3%. Au bout de vingt ans, la partie ne durera que 45 minutes, mais la cage faisant maintenant 14 mètres de large ou 4,40 mètres de haut, Ronaldo inscrira en moyenne le même nombre de but en 45 minutes qu’autrefois en 90. Son équipe pourra donc disputer deux parties en 90 minutes, disons Manchester United-Chelsea pour la Premier League suivi après une pause de 15 minutes (on vide le stade et on accueille un nouveau public) par Manchester United-Real pour la Ligue des Champions. Rapporté au nombre de parties jouées, le salaire de Ronaldo restera constant: adieu la loi de Baumol.
Évidemment, avec un tel système, on finira par avoir des cages de 50 mètres de large et des parties de 10 minutes. Et alors? Au moins l’ouvrier, dans la tribune, en aura pour son argent. Beaucoup plus productif que son père, il assistera à beaucoup plus de matches que lui. C’est mathématique.
Si vous trouvez farfelu ce qui précède, posez-vous cette question: pourquoi la FIFA veut-elle une Coupe du Monde tous les deux ans? N’est-ce pas pour doubler la productivité des footballeurs?
PS: Le directeur du 360 me fait remarquer que l’air du toréador, dans Carmen, est chanté par un baryton et non par un ténor. Mes excuses pour l’erreur, à vrai dire impardonnable pour qui se targue d’apprécier l’opéra.