Du boulot pour nos voyantes

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ChroniqueLe patron de la boîte où je bosse vient de s’adjoindre une sorte de médium qui l’aide dans le recrutement des futurs cadres supérieurs. Le charlatan scrute l’écriture des candidats, étudie leur signe astral, calcule l’hypoténuse de leur triangle nasal et en déduit s’il faut les embaucher ou non!

Le 04/04/2018 à 10h59

Il en est encore tout retourné. Il secoue la tête, lève les yeux au ciel, tapote d’énervement sur ce guéridon qui nous sépare, au café Cannibale de la rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris. Lui, c’est Hamid, jeune Franco-Marocain d’élite, bardé de diplômes, cadre sup dans une grande boîte de la place (c’est fou ce qu’on enfile comme lieux communs quand on se laisse entraîner par le langage en oubliant son esprit critique au vestiaire. «Bardé de diplômes», «cadre sup», «grande boîte»… Il faudra un jour en parler, parce que eux aussi méritent de vivre, des «autodidactes», «cadres inférieurs» dans de «toutes petites boîtes», quasiment des boîtes d’allumettes. Mais ce sera pour une autre fois. Revenons à nos moutons, au Cannibale.)

Donc Hamid s’énerve.

– C’est bien la peine d’avoir eu Newton, Darwin et Einstein!

(Ce genre de phrases m’étonnera toujours. Pourquoi ne dit-on pas: «C’est bien la peine d’avoir eu Al-Haytham, Jâbir Ibn Hayyan et Thâbit Ibn Qurra»? C’était aussi des génies. Nous sommes encore un petit peu colonisés dans nos têtes. Mais revenons à nos chèvres.)

– Qu’est-ce t’as à évoquer les mânes des grands hommes de la Science? Qu’est-ce qui s’est passé?

Il boit une gorgée de son verre de lait du Haut-Médoc.

– Le grand patron de la boîte où je bosse vient de s’adjoindre une sorte de médium qui doit l’aider dans le recrutement des futurs cadres supérieurs. Le charlatan scrute l’écriture des candidats, étudie leur signe astral, calcule l’hypoténuse de leur triangle nasal et en déduit s’il faut les embaucher ou non! C’est scandaleux, non? Nous sommes quand même en 2018, pas au Moyen-Age!

Nous nous regardons, partagés entre l’indignation et l’abasourdissement. Emu, je me souviens de mon oncle, s’indignant devant moi, il y a déjà plusieurs décennies, qu’on dise des Français, en général, qu’ils sont «cartésiens».

– Au moins 40% des Français ne sont pas cartésiens puisqu’ils croient en l’horoscope, cette foutaise! tonnait l’illustre historien.

Nous sirotons nos breuvages, rêveurs. Puis une petite lueur s’allume dans nos yeux. Je crois que nous avons eu l’idée en même temps.

– Tu penses à ce que je pense?

Mais oui. Du boulot pour nos chouafates, nos braves voyantes, dont l’art se transmet, de pythonisse en chiromancienne, depuis le déluge! Ce sont les meilleures du monde. S’il y avait des olympiades de la voyance, nous aurions des médailles d’or, en veux-tu en voilà! Les Nobel des devins, ils seraient pour nous.

Hamid et moi, nous lançons ici, dans ces augustes colonnes du 360.ma, un solennel appel: que les Instituts français du Maroc, et d’abord mon préféré, celui d’El Jadida, instituent des cours accélérés de français à l’usage de nos chouafates. On les dispatcherait ensuite dans des centres d’appel à Sidi Bennour, Settat ou Khénifra. Tout patron français ou belge ou suisse, bref: francophone, pourrait les consulter par téléphone avant d’embaucher Benoît, Gudule ou Tartempion. Ce serait tout bénéf pour tout le monde. Et quel boost pour l’amitié franco-marocaine, qui est l’axe majeur et stratégique de notre diplomatie! Merci qui? Merci, les chouafates!

Par Fouad Laroui
Le 04/04/2018 à 10h59