La lumière des Justes

Le360

ChroniqueIl remercie les habitants du royaume pour leur hospitalité et fait part de sa gratitude à Mohammed VI et à l’énigmatique Mama Hajja, dont tous les autres migrants reprennent le nom en chœur. «Merci Mama Hajja !» répètent-ils. Je me suis demandé qui pouvait bien être cette Mama Hajja.

Le 23/02/2017 à 11h58

Il y a quelques jours, des centaines de migrants ont franchi, de manière spectaculaire, les barrières qui séparent le Maroc de l’enclave espagnole de Sebta. Des centaines d’hommes se sont jetés sur les barbelés, au péril de leur vie, pour rejoindre le sol européen. Ils l’ont foulé, les jambes en sang, les vêtements en lambeaux mais pour la plupart, heureux d’être arrivés à bon port. Un média espagnol a diffusé des images incroyables de cette épopée. Des jeunes hommes subsahariens y expriment leur joie, un drapeau espagnol à la main. Ils se mettent à genoux et embrassent le sol, émouvant dans leur jeunesse, leur espoir, leur exaltation. Et puis, assis par terre, dans une pièce sombre, un porte-parole s’exprime en français, face caméra, et s’adresse aux Marocains. Il remercie les habitants du royaume pour leur hospitalité et fait part de sa gratitude à Mohammed VI et à l’énigmatique Mama Hajja, dont tous les autres migrants reprennent le nom en chœur. «Merci Mama Hajja !» répètent-ils.

Vidéo où des migrants remercient Mama Hajja

Réflexe de romancière, je me suis demandé qui pouvait bien être cette Mama Hajja, ce qu’elle avait fait pour eux, comment ils l’avaient rencontré. J’ai imaginé où elle vivait, les soins qu’elle leur avait apportés. Je me suis créé ma petite légende à moi où la mystérieuse Mama Hajja avait des allures de Sainte ou de madone. En réalité, cela m’a donné à penser à tous ces anonymes, ces gens ordinaires qui se comportent avec une générosité et une bonté immense à l’égard des exilés et des damnés de la terre. Je leur voue une admiration immense. Ceux qui passent leur nuit à distribuer de la nourriture, dans un Paris glacé. Ceux qui apportent des vêtements chauds ou bien des livres, des jouets. Parmi eux, Cedric Herrou, condamné pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Ce paysan français, qui a porté secours à des migrants souhaitant passer d’Italie en France, a toujours revendiqué son geste humanitaire. «Je le fais parce qu’il faut le faire. Des gens sont morts sur cette autoroute, un Etat a mis en place des frontières et n’en gère pas les conséquences», a-t-il déclaré lors de son procès. Cédric Herrou n’est pas seul et dans la vallée de la Roya, dans les Alpes Maritimes, ce sont des dizaines de famille qui accueillent, aident, rassurent des migrants dont beaucoup sont des mineurs isolés.

L’épopée des migrants est une histoire en marche sous nos yeux, qui contient son lot d’ignominie et de clarté. On se souvient de cette journaliste hongroise qui avait insulté et donné des coups de pied à un vieux syrien qui courait dans la boue pour traverser la frontière. Nous n’oublierons pas non plus ces hommes qui ont ordonné de porter des énormes pierres et de les déposer sous le métro aérien, à Paris, pour empêcher que des migrants puissent désormais se tenir couchés dans ce lieu abrité. On retiendra que des policiers ont arraché, en plein hiver, les couvertures des réfugiés pour les faire partir.

Mais aujourd’hui, j’ai aussi envie de penser à la part lumineuse des hommes, à tous ceux, anonymes ou non, qui ont porté secours, qui ont réchauffé, qui ont nourri. Aux habitants de Lesbos ou de Lampedusa, qui ont ouvert leurs maisons et partagé leurs biens. A ces Allemands qui ont accueilli des milliers de réfugiés syriens, leur ont appris leur langue, les ont soutenus dans la douleur de l’exil. Dans son magnifique roman Vie et destin, l’écrivain russe Vassili Grossman fait dire à l’un de ses personnages: «Je ne crois pas au bien. Je crois à la bonté». Je crois que l’homme peut faire preuve d’une extraordinaire humanité au sens de l’amour de son prochain et cela a le don de m’émouvoir et de me rassurer sur notre avenir. Et j’aime à penser que nous ne retiendrons pas de notre époque que les ignominies et les égoïsmes. Mais qu’il restera quelque chose de Mama Hajja et des autres justes.

Par Leila Slimani
Le 23/02/2017 à 11h58