Certes, il ne s’agit aucunement de faire l’apologie du coup d’Etat militaire en soi, mais de décortiquer les facteurs sous-jacents de cette dynamique régionale, et de voir dans un second temps dans quelle mesure cela pourrait-il profiter ou non au Maroc.
En Guinée, le coup d’Etat de septembre 2021 semble obéir à des impératifs en partie différents de ceux des deux autres pays. Le troisième mandat d’Alpha Condé suite à un changement de la constitution, sa dérive autoritaire et la mauvaise gestion économique ont créé un terrain favorable, que des soldats des forces spéciales dirigées pourtant par un proche de Condé, à savoir le colonel Mamadi Doumbouya, n’ont pas hésité à instrumentaliser pour prendre le pouvoir. Avec cependant, et il est important de le mentionner, un soutien large d’une population désireuse de mettre fin à la gabegie et à l’autoritarisme du pouvoir de Condé. Une transition démocratique promise par Doumbouya est toujours attendue par la CEDEAO. Je pense qu’elle attendra encore longtemps.
Dans le cas du Mali et du Burkina Faso, tout commence en réalité en Libye. Souvenons-nous du contexte des «Printemps arabes» en 2011 et de l’effet domino de l’époque. Parti de Tunisie, ce mouvement de révolte a fini par s’étendre à la Libye et à l’Egypte. En Libye, la révolte armée est partie de Benghazi, le chef-lieu de la Cyrénaïque, avant de s’étendre plus ou moins à tout le pays.
Face aux menaces virulentes de Kadhafi de mettre violemment fin à cette insurrection, le conseil de sécurité a autorisé, suite au vote de la résolution «1973», une intervention franco-britannique, avec pour mission de faire respecter l'interdiction de tous les vols non humanitaires, et de faire en sorte que des avions de guerre ne puissent être utilisés pour attaquer les populations civiles.
Vicieusement détourné par le couple franco-britannique, l’embargo aérien a transmuté en soutien aérien aux rebelles, et en une chasse à l’homme contre Kadhafi et ses proches. Le résultat fut l’implosion de la Libye, et la prolifération de plusieurs groupuscules armés, qui ont vus dans les stocks d’armes abandonnés de l’armée libyenne une caverne d’Ali Baba.
Désormais libérés de l’allégeance à Kadhafi, les mercenaires et désormais rebelles Touaregs scellent une alliance contre-nature avec AQMI et d’autres groupuscules en vue d’envahir le Mali. Les Touaregs du MNLA pour créer un mini-Azawad au nord du Mali, AQMI pour disposer d’un Etat comme base arrière pour de futures opérations dans la région.
A partir de janvier 2012, suite à des attaques foudroyantes, Kidal, Gao et Tombouctou tombent en l’espace de quatre mois. La France, en bon pompier-pyromane, décide finalement d’intervenir militairement en janvier 2013 via l’opération «Serval».
Les principales villes sont reprises par les autorités maliennes, mais le mal est fait. Les pays de la région (Mali, Niger, Burkina Faso, Centrafrique, etc.) se retrouvent fragilisés sur le plan sécuritaire, les pouvoirs politiques en place discrédités, et l’opération français «Barkhane» qui succède à «Serval», se retrouve incapable, du fait des faibles moyens logistiques engagés, ou d’une non-volonté de la France, de neutraliser la prolifération des mouvements terroristes dans toute la bande Sahélo-saharienne et jusqu’en Centrafrique.
Deux phénomènes commencent graduellement à converger. D’un côté, un sentiment anti-français, somme toute légitime, commence rapidement à émerger au sein des populations, en même temps qu’un rejet profond des élites politiques, de plus en plus vues comme des valets de Paris. De l’autre, des armées humiliées par les défaites de 2012, par la quasi-impunité des rebelles qui commettent attentat terroriste sur attentat terroriste et surtout par les faibles moyens militaires et budgétaires que les pouvoirs en place daignent bien leur accorder dans un schéma de méfiance réciproque.
La convergence des deux ressentiments donnera lieu à un double coup d’Etat au Mali en 2020 et en 2021, qui permettra au colonel Assimi Goïta de prendre le pouvoir, dans la perspective de rétablir la sécurité et la souveraineté de l’Etat sur tout le territoire, mais également d’émanciper le pays de la tutelle française, en allant cherchant un nouveau partenaire stratégique, la Russie. Cela explique en grande partie l’hystérie de Paris, et de sa caisse de résonance régionale qu’est la CEDEAO.
Le 23 janvier 2022, c’est au tour du Burkina Faso. Une mutinerie militaire se transforme rapidement en un coup d’Etat militaire dirigé par le commandant Paul-Henri Damiba. Rappelons que le pays a connu, entre 2015 et 2021, plus de 2000 morts suites à des attentats terroristes et à des attaques contre les forces armées. Mais la goutte qui a fait déborder le vase fut l’attaque terroriste le novembre 2021 contre la garnison d’Inata au nord du pays, qui a causé la mort de 53 soldats burkinabés et fait 20 disparus.
Malgré les différentes requêtes envoyées à la capitale, cette garnison n’a non seulement reçu aucun renfort, mais elle n’a plus été approvisionnée en nourriture pendant deux semaines. Non faute de budget, mais parce que le président déchu, Roch Marc Christian Kaboré, nourrissait une méfiance profonde à l’égard de l’armée, ce qui l’a amené à se désigner lui-même ministre de la Défense entre 2016 et 2017, et à grandement affaiblir l’armée par des coupes budgétaires et une atrophie de leurs capacités militaires. Résultat: en affaiblissant son armée, et par ricochet la sécurité du pays, Kaboré a semé les germes de sa propre chute.
Autre chose fort intéressante dans le cas du Burkina Faso, le soutien massif exprimé par la population aux militaires suite au coup d’Etat. Des drapeaux français était brûlés par les manifestants pro-militaires, au moment même où des centaines de drapeaux russes étaient ostensiblement brandis. Sur ce point, le nouveau pouvoir à Ouagadougou ne s’est pas encore exprimé sur un éventuel retournement stratégique en faveur de la Russie. Mais les choses ne sauraient tarder.
Une question s’impose d’elle-même: «à qui le tour maintenant?».
Les candidats ne manquent pas dans la région. Certains parlent du Niger voisin, d’autres anticipent une réactivation de la guerre civile en Côte d’Ivoire.
Quoiqu’il en soit, les années sinon les mois à venir nous diront s’il s’agit de cas isolés, où bien d’un «Printemps sahélien», qui provoquera très certainement une reconfiguration géopolitique dans toute la région. Le Maroc, en exprimant son soutien aux autorités maliennes au moment même où Paris et la CEDEAO entendent étouffer le pays, se positionne de manière stratégique comme un partenaire fiable et respectueux de la souveraineté des Etats de la région. Une approche qui pourrait lui ouvrir de nouvelles perspectives dans la région, face à un pré carré français qui semble se réduire comme peau de chagrin.