Quand l’inflation pourrait financer notre développement…

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ChroniqueDepuis à peu près un an, l’inflation semble sévir de plus en plus au Maroc, au même titre que dans le reste du monde, mais avec des niveaux de résilience différents d’un pays à l’autre. Cependant, comme dans toute crise, des possibilités innovantes et audacieuses s’offrent toujours à ceux capables de les saisir.

Le 02/06/2022 à 11h01

En 2021, l'inflation fut de 4%, soit le taux le plus élevé depuis 20 ans au Maroc. Pour le dire plus simplement pour les non-économistes, un taux d’inflation de x% sur une année veut dire que votre pouvoir d’achat (épargne comprise) a perdu grosso modo x% de sa valeur. Une même somme d’argent, par exemple un billet de 200 DH, permet d’acheter x% moins de marchandises que les années précédentes.

L’inflation est, pour résumer, une augmentation générale des prix, et par conséquent une perte du pouvoir d’achat de la monnaie.

Face à ce fléau contre lequel il revient à la banque centrale de lutter, entre autres, les citoyens autant que les entreprises ont globalement deux approches possibles. La première: investir leur argent dans des secteurs où le taux de profit est supérieur à l’inflation, mais en acceptant les risques qui vont avec, car, rappelons-le, le risque est proportionnel au taux de profit.

La seconde approche consiste à investir leur argent dans des placements sûrs mais peu rémunérateurs: compte épargne, bons du Trésor… Cela permet d’amortir partiellement l’effet de l’inflation, mais vous perdez quand même du pouvoir d’achat, car les taux rémunérateurs proposés par les banques marocaines pour les comptes épargne sont loin de suffire à combler la perte due à l’inflation.

D’autres, plus rares, se réfugient dans l’or (les célèbres Louis d’or de nos grands-parents). Cependant, bien qu'ayant toujours été une valeur refuge universelle, le cours de l’or à l’international semble être maintenu artificiellement bas pour des raisons qu’on n'a malheureusement pas le temps d’expliquer ici.

Ce tableau que je suis en train de dépeindre semble indiquer que quoi que l’on fasse, nous allons de toute manière voir notre pouvoir d’achat grignoté par l’inflation.

Cependant, comme dans toute crise, des possibilités innovantes et audacieuses s’offrent toujours à ceux capables de les saisir.

Nous essayerons dans ce qui suit de proposer une nouvelle piste qui nous semble non seulement réalisable mais surtout efficace à bien des égards.

Premièrement, trois obstacles majeurs doivent être levés: la baisse du pouvoir d’achat des ménages, l’incapacité du gouvernement à mobiliser massivement l’épargne privée, et l’impossibilité pour Bank Al-Maghrib de monétiser la dette du Trésor. Autrement dit, la racheter au niveau du marché secondaire auprès de ceux qui la détiennent.

Pour ce faire, le Trésor marocain peut, pour financer la première phase du Nouveau Modèle de Développement (NMD), émettre des mini-bons du Trésor intégralement digitalisés, d’une valeur de 100 DH chacun, avec un taux rémunérateur indexé sur l’inflation, soit par exemple 4 à 5% pour 2022.

Ces mini-bons du Trésor pourront être achetés par les particuliers autant que par les entreprises, à travers un simple clic sur leurs applications bancaires, à chaque fois qu’une émission de ces bons est réalisée par le Trésor. De faibles commissions de transaction (achat, vente) pourront être prélevées par les banques.

Les particularités de ces mini-bons seront nombreuses.

D’une durée de 6 mois, ces mini-bons pourront être renouvelés par un accord tacite du Trésor et de l’acquéreur.

Etant caractérisés par une petite somme, 100 DH, ces mini-bons seront accessibles aux particuliers. En les achetant, ceux-ci mettront en même temps leur épargne en sécurité face à l’inflation, car, rappelons-le, ces bons sont rémunérés à hauteur de l’inflation et contribueront au financement du développement économique du pays.

Etant garantis par l’Etat, ces bons constitueront une valeur sûre.

Autre spécificité: ces mini-bons devront être liquides. Autrement dit, ils pourront être utilisés comme un instrument de paiement par voie électronique, pour les achats, le paiement des impôts ou toute autre transaction. L’Etat peut aussi rembourser le crédit TVA qu’il doit aux entreprises à travers ces mini-bons.

Chaque citoyen ou entreprise possèdera un wallet ou un portefeuille de ces mini-bons, qui sera adossé à son compte bancaire, qu’il s’agisse du compte courant ou d’épargne. Ainsi, les banques n’auront pas à craindre une hémorragie des comptes épargne au profit de ces mini-bons.

Enfin, ces mini-bons pourront être convertis par celui qui les détient à n’importe quel moment auprès de sa banque, mais en acceptant de perdre les coupons rémunérateurs qui lui restent. Cependant, il récupérera la valeur nominale du bon.

Exemple pour simplifier: je détiens un mini-bon d’une durée de six mois et d’une valeur de 100 DH. Si le taux de rémunération est de 4%, à la fin du sixième mois, soit je reconduis le bon à nouveau pour 6 mois, soit je récupère mes 100 DH, plus 4 DH de rémunération correspondant aux 4%. Mais si je décide de convertir en dirhams mon mini-bon, je récupère les 100 DH, la valeur nominale, mais je n’aurais que 2 DH de rémunération.

Certains diront qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une création d’une nouvelle monnaie parallèle au dirham. La réponse sera celle d’un Normand: oui et non.

Oui, car ces mini-bons pourront être utilisés comme un instrument d’échange, au même titre qu’une monnaie, en l’occurence le dirham, avec un taux de conversion de 1 mini-bon = 100 DH.

Non, car ce mini-bon n’est ni plus ni moins qu’une reconnaissance de dette du Trésor vis-à-vis de celui qui a prêté à l’Etat 100 DH en achetant un bon. Et comme il est garanti par l’Etat, un autre acteur économique peut sans problème l’accepter comme moyen de paiement, car en plus, il est rémunéré par un taux.

L’Etat gardera le contrôle sur l’émission et le renouvellement ou non de ces mini-bons, et il se devra d’utiliser l’épargne collectée ainsi exclusivement pour financer les premières phases du NMD, avec des garde-fous et un contrôle étroit.

Il pourra par ce procédé canaliser une partie de l’épargne privée vers des secteurs productifs et rentables à long terme, en lieu et place de secteurs stériles.

Il s’agira, par conséquent, d’une dette publique intérieure et souveraine, mais liquide, rémunérée et stimulante pour la demande autant que pour les secteurs productifs et le monde de l’entreprise.

Certes, le gouvernement aura à gérer la charge de cette nouvelle dette. Mais le pari est que si ce procédé permettra d’enclencher un processus de développement dynamique, les bénéfices que l’Etat en tirera en termes de croissance du PIB et, par conséquent, en recettes fiscales suffiront amplement à couvrir ces frais.

Toutefois, l’idée n’est pas de renouveler éternellement ces mini-bons, mais de commencer à les retirer au fur et à mesure que l’inflation baissera et que notre développement économique se mettra graduellement à s’auto-financier.

Si beaucoup d’aspects techniques ont certes été sciemment occultés dans mon exposé pour des raisons de format, les grandes lignes ont cependant été tracées, et l’idée mérite d’être prise au sérieux par nos responsables, vu la situation critique dans laquelle notre économie risque de se retrouver dans les quelques prochaines années, et vu le manque de créativité et d’audace des pistes proposées jusqu’à présent.

Par Rachid Achachi
Le 02/06/2022 à 11h01

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Cette politique d encouragement de l épargne privee est combattue depuis longtemps par la Banque centrale et le lobby bancaire ainsi que par le Trésor. En effet la banque centrale ouvre aux banques le robinet des avances qui atteignent parfois 90 milliards hebdomadairement à un taux dérisoire proche du taux directeur de 1,50% et les banques facturent au client un taux egal au minimum à 4,5% soit une plus value 3 fois plus sinon beaucoup plus.Dans le même temps le Trésor se finance sur le marché monétaire à un taux très bas proche du taux directeur. Donc l État ou le Trésor ne pensera jamais à l émission de bons à des taux supérieurs aux taux qu il peut avoir sur le marché. le marché monétaire au Maroc prend la forme d un crédit indirect de la banque central au Trésor via les banqu

Le mécanisme proposé est semblable au "mini-bot" Proposé par la coalition de l’extrême droite italienne et qui est totalement refusée par la banque centrale européenne et la commission européenne Il ne fait qu’alourdir encore la dette publique L’idée des mini bons vient aussi du financement participatif crowdfunding pour sécuriser les investisseurs et éviter le blanchiment de argent de la drogue ou le financement des activités illicites Donc cette idée n’as rien d’originale et n’apporte aucune solution à la problématique de l’inflation

Il faut lui reconnaître au moins le mérite de proposer des pistes de réflexion originales, pendant que les hauts cadres des finances et de la banque centrale, rémunérés à des millions par mois, ne brillent que dans la "construction de phrases", alors que s'ils sont très bien payés, c'est justement pour trouver des solutions à ces problèmes ! Se réfugier derrière une certaine "orthodoxie financière" érigée en dogme est une forme de paresse intellectuelle !

Même si je ne suis pas tout à fait convaincu de l'efficacité de cette proposition pour protéger,un tant soit peu,le pouvoir d'achat des citoyens contre l'inflation,j'ai toujours apprécié Monsieur Achachi,comme analyste et chercheur dont la réflexion ,contrairement à certains,va au-delà du simple diagnostic pour proposer des solutions.En cela,il fait exception à la célèbre citation attribuée au Générale De Gaulle :" des chercheurs qui cherchent on en trouve,mais des chercheurs qui trouvent on en cherche."

Même si je ne suis pas d'accord avec le professeur Achachi sur cette proposition consistant à mieux rémunérer l'épargne privée pour protéger,un tant soit peu, le pouvoir d'achat des citoyens et financer le NMD,j'ai toujours apprécié en lui,l'analyste et le chercheur dont la réflexion ne se limite pas au "diagnostic" ,mais le dépasse à la "prescription". En cela,il fait exception à la célèbre citation attribuée au Général De Gaulle : "des chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche !".

Actuellement,le Trésor se finance dans de très bonnes conditions de volume et de coût.Les soumissions aux adjudications des bons du Trésor,portent parfois sur des montants cinq fois supérieurs aux besoins à couvrir et à des taux très favorables.De plus,ces levées de fonds se font pratiquement à 0 frais de gestion.Aussi, comment justifier le retour à l'ancienne "émission permanente de bons du Trésor",abandonnée dans les années 80 ? Deuxièmement : BAM peut parfaitement acheter des bons du Trésor sur le secondaire pour réguler la liquidité bancaire(open market).Par ailleurs,mécaniquement,le développement de ces nouveaux-anciens bons se fera au détriment des comptes d'épargne bancaires.Bref!ça sera une simple rente pour les épargnants ,non touchés par l'inflation,càd :(Zid chahma..maalouf)

Le mécanisme paraît tenir. Cependant, bien que n'étant pas économiste, il me paraît que le système ainsi élaboré profitera plus à ceux, non concernés par l'inflation, qui ont des millions de 100 Dh qui leur permettraient d'engranger des plus-values en un temps record, et moins à ceux, touchés profondément par la hausse des prix, qui pourraient miser 100 Dh et espérer récolter 4 Dh après une année. A moins de retirer leur mise au bout de six mois pour subvenir à des besoins pressants. En définitive, les nantis seront encore plus riches à la mesure de leur mise et les laissés pour compte seront rétribués par des miettes qui ne feront que perdurer encore plus leur situation de misère. (Ouallahou a3lam!)

combien l'état perd de millions en devise,euro,dollar, pour permettre aux étudiants marocains inscrits dans les études supérieures dans les pays étrangers,ex ,en france il faut payer presque 40 OOO dh pour uniquement à l'inscription,sans parler de 1000 euros chaque mois à chaque étudiant pour vivre ! autrement des milliards de dhs offerts aux pays étrangers tel l'ukraine ,étudiants au retour à cause de la guerre,des pertes immenses ,alors qu'il faut trouver les moyens de retenir ces étudiants au maroc,par la création des universités dans toutes les villes du maroc,mêmes privées, le maroc doit assurer son indépendance pour nourrir la population,il faut des cadres formés pour s'adapter aux crises,telle la sécheresse menaçante!

"Exemple pour simplifier: je détiens un mini-bon d’une durée de six mois et d’une valeur de 100 DH. Si le taux de rémunération est de 4%, à la fin du sixième mois, soit je reconduis le bon à nouveau pour 6 mois, soit je récupère mes 100 DH, plus 4 DH de rémunération correspondant aux 4%." Dans votre calcul, le taux de 4 % est-il annuel ou actuarial ? Car si 4 % est annuel cela revient 1.98 % en taux équivalent semestriel ou 2% en taux proportionnel). Donc vous ne récupérez pas 4 DH de rémunération. Merci de m'éclairer !

La rémunération est versée sous formes de coupons à taux fixe, calculés sur la base de la valeur nominale de l'obligation. Quant à la périodicité, elle est de 6 mois. Donc c'est 4% de la valeur nominale qui sont versés sur 6 mois.

comme toujours, Rachid el Achachi est un brillant esprit. Décideurs politiques, soyez responsables!!!

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