Budapest, lundi et mardi, Londres mercredi de la semaine écoulée: c’est au pas de charge que la diplomatie, déjà en mouvement depuis des lustres, se mobilise de nouveau. Le ministre des affaires étrangères, Nasser Bourita, tapant le ballon avec ses collègues du «V4» voilà bien, de surcroît, au-delà d’un mouvement, un «style», autre chose…
Le marqueur de tout cela? Une ferme volonté du Royaume de continuer le redéploiement de sa politique étrangère. Avec le groupe dit de Visegrád, formé de la Pologne, de la Hongrie, de la Tchéquie et de la Slovaquie, c’est une nouvelle étape. Formé voici trente ans, en février 1991, il a d’abord facilité l’insertion de ses quatre membres au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. Il a gagné en visibilité, en notoriété et en influence ces dernières années pour défendre des positions convergentes sinon communes. La population totale est de l’ordre de 65 millions d’habitants: le PIB global dépasse les 1.115 milliards de dollars (Pologne: 600, la République Tchèque: 250, la Hongrie: 160 et la Slovaquie: 105), huit fois celui du Maroc.
Rabat a entrepris une approche de rapprochement avec ce groupe, illustrée par la visite en juin dernier du ministre hongrois des Affaires étrangères. Il y a là plusieurs facteurs explicatifs, liés entre eux, d’ailleurs. Les quatre pays sont membres à part entière de l’UE. Ils sont également représentés au Parlement européen (705 membres) par 102 eurodéputés. Du côté du Maroc, une ferme volonté de diversifier les partenariats à l’international. Un mécanisme de concertation et de dialogue est ainsi mis sur pied de manière pérenne. Le Maroc n’entend plus se limiter à des partenaires «traditionnels» (France, Espagne…) pour faire entendre sa voix et défendre ses intérêts au sein des institutions européennes.
Des potentialités commerciales et économiques sont également à mettre en relief; une ouverture et une initiative conséquente en direction de nouveaux marchés proches de ceux avec lesquels il entretient des relations historiques. Une plateforme vers l’Europe centrale et l’Europe de l’Est. Pour le groupe de Visegrád, le Royaume offre une grande opportunité vers le continent, notamment l’Afrique de l’Ouest. S’y ajoutent d’autres intérêts communs: la coopération dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé transfrontalier et l’immigration clandestine.
Dans la capitale britannique cette fois, c’est un nouvel agenda pour la diplomatie marocaine. Nasser Bourita a ainsi rencontré mercredi 8 décembre son homologue britannique, Mme Liz Truss. Ce rendez-vous était lié à la troisième session du dialogue stratégique entre les deux pays. Les deux précédentes éditions avaient permis de redynamiser la coopération culturelle. Un mémorandum d’entente relatif à la création d’un Comité de coopération mixte avait été alors signé, articulé au domaine de l’éducation et à un accord sur le système des écoles britanniques au Maroc.
En marge du sommet «UK-Afrique Investment Summit», en janvier 2020, à Londres, ce mémorandum avait été signé créant un groupe de travail conjoint pour la promotion des opportunités d’échanges commerciaux et d’investissements offertes par les deux pays. Un accord suivi par la première session de dialogue Affaires Maroc-Royaume Uni, laquelle avait réuni pas moins de 110 entreprises marocaines et 225 opérateurs britanniques. Il faut rappeler qu’un nouveau cadre de coopération bilatérale avait été signé en octobre 2019 par suite de la sortie de Londres de l’UE –un accord d’association qui est entré en vigueur, le 1er janvier 2021. A noter ici qu’aucune restriction n’a été apportée à la reconnaissance de tous les produits issus du Sahara marocain, libres d’entrée au Royaume-Uni…
Entre Rabat et Londres, assurément, un grand élan a été donné à la nature et à la dimension de leurs relations bilatérales. Il faut citer ici le grand projet d’un câble sous-marin de 3.800 km reliant un complexe éolien et solaire implanté dans la région de Guelmim-Oued Noun, développé par la société britannique Xlinks. Il doit alimenter le Royaume-Uni en énergie propre. Ce complexe énergétique, dont le lancement est prévu en 2025, est d’une capacité de 10.5 giga-watts: il mobilise un investissement de 22 milliards de dollars. Un projet titanesque, structurant et pérenne.
Autre potentialité énergétique: l’hydrogène vert qui présente un grand intérêt pour Londres. D’autres secteurs offrent eux aussi, un immense potentiel de coopération et de partenariat: services, industrie pharmaceutique, textile, pêche, agriculture…
Enfin, une interconnectivité maritime qui va «booster» les échanges commerciaux: celle de la mise en service, voici deux mois déjà, d’une ligne directe reliant le port de Tanger Med à celui de Poole (sud du Royaume-Uni). Les exportations marocaines vers le Royaume-Uni se feront ainsi en moins de trois jours. Les produits importés par le Maroc sont surtout le pétrole raffiné. Les voitures, les pièces d’avion, etc., tandis que ceux exportés sont surtout les légumes, les fruits frais, les vêtements textiles. Les exportations marocaines de produits agricoles vers le Royaume-Uni ont augmenté de 50% depuis le Brexit. Des économies complémentaires.
L’accord d’association a permis de maintenir les échanges entre les deux pays – régis alors par ceux liant Rabat à Bruxelles–, tout en les resituant dans une perspective particulière d’identification des secteurs, avec de nouveaux termes de nature à promouvoir et à élargir les opportunités des investissements dans chacun des deux pays. Il est également attendu une plus forte présence des sociétés financières britanniques à Casablanca Finance City; de quoi offrir une porte d’entrée vers l’Afrique francophone ainsi qu’une route alternative pour les opérateurs marocains au marché anglophone.
Par ailleurs, une mention particulière doit être faite à la coopération militaire et sécuritaire. La Grande-Bretagne a participé avec d’autre pays (Brésil, Canada, Tunisie, Sénégal, Pays-Bas, Italie) et l’OTAN à la 17e édition de l’exercice combiné maroco-américain «African Lion 2020», en juin 2021, dans plusieurs régions du Royaume. En octobre dernier, ont été également effectués des exercices militaires conjoints incluant la présence du porte-avion HMS Queen Elizabeth de la Royal Navy.
Avec le Royaume-Uni, le Maroc obtient ce que l’on pourrait appeler –outre les secteurs économiques et commerciaux– des dividendes stratégiques. Avec la France, le Royaume-Uni est une puissance militaire de premier plan eu Europe. Il est membre du Conseil de sécurité. Il est aussi au centre du Commonwealth, une organisation intergouvernementale de 53 Etats membres, le symbole de cette libre association étant la Reine d’Angleterre.
Les deux pays partagent le même souci d’une action internationale résolue pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent sous toutes ses formes. Ils partagent leur «profonde inquiétude» quant à l’évolution de la menace terroriste en Afrique, notamment au Sahel. Ils ont arrêté des mesures de coopération dans la lutte contre la criminalité internationale. Ils ont également décidé d’approfondir et d’élargir leur collaboration dans le domaine de la cybersécurité. Il est prévu à cet égard l’élaboration et la finalisation d’un projet commun de cyberanalyse intégré renforçant les capacités en matière de cybersécurité stratégique.
L’élément nouveau de ce dialogue donne une valeur ajoutée significative à la diplomatie marocaine. Tant les quatre membres du groupe de Visegrád que le Royaume-Uni réaffirment leur soutien à la résolution 2602 du Conseil de sécurité du 29 octobre dernier. Il est bien évident que la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, voici un an, le 10 décembre 2020, ne peut qu’être prise en compte par les pays anglo-saxons soucieux de la préservation de leur intégrité territoriale. Londres, elle-même, est confronté au séparatisme de l’Irlande du Nord… Nul doute qu’elle veillera à être constructive et positive pour la recherche et l’accompagnement d’un règlement politique négocié sur la question du Sahara marocain sur la base de l’initiative réaliste, crédible et sérieuse du Royaume. Une maturation qui progresse au sein de la communauté internationale –et celle de la Grande-Bretagne s’inscrit déjà dans une tonalité significative.