Lien social et confiance: les Marocains tels qu'en eux-mêmes

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueUne étude de l'Institut Royal d'Etudes Stratégiques (IRES) dévoile des informations importantes sur l’évolution de la société marocaine et la perception qu’ont les Marocains des institutions régaliennes, ainsi que l’état d’esprit des jeunes et des personnes âgées.

Le 05/12/2021 à 11h00

Le HCP? C'est le Maroc globalement, mais aussi les Marocains avec tant de paramètres quantitatifs et chiffrés. L'Institut Royal d'Etudes Stratégiques (IRES)? C'est aussi le Maroc, bien entendu, dans sa substance socio-économique et culturelle ainsi que dans son insertion et son rôle dans le concert des nations. Dans la neuvième édition de son rapport stratégique (octobre 2021), l'IRES traite d'une dizaine de dossiers économiques et sociaux, structurels, dont "Vie en société". Est mis en exergue à ce sujet un pan: celui du capital immatériel à consolider et à améliorer. C'est là un levier à optimiser en tant que vecteur du positionnement international du Royaume.

Une quinzaine de facteurs significatifs sont ainsi retenus. Le statut de l'individu, en premier, intéresse la place de l'individu, homme ou femme. L'inégalité de genre se réduit, passant de 0.683 en 2000 à 0.492 en 2019. Une tendance baissière donc mais par rapport à l'indice mondial des disparités de genre, le Maroc demeure toujours mal classé, pratiquement dans la zone rouge des pays affectés par ce phénomène.

En sens inverse, la place des jeunes dans la population s'est, elle, dégradée au cours des deux décennies écoulées de près de cinq points (15.5 contre 20.7). Qu'en est-il maintenant des femmes parlementaires? De l'amélioration avec 0.6 en 2000 puis un bond jusqu'à 24.3 en 2021. Encore un gros effort donc, à poursuivre, pour se conformer aux principes de la parité et d'égalité des chances prônés par la Constitution de 2011! Quant au taux de participation des femmes dans le marché du travail, il a régressé de six points; une tendance qui se poursuit en 2021 par suite de l'impact de la triple crise sanitaire, sociale et économique. 

Un autre volet regarde non plus l'individu mais le "Groupe d’individus". Il y a du mieux dans le bien-être des jeunes de moins de 25 ans (16 sur 30 après un 20 sur 30). Le positionnement est cependant moins satisfaisant pour ce qui est de l'indice de bien-être des personnes âgées et plus avec le 84ème rang sur 96 pays. Le rapport note ici "qu'au Maroc, les solidarités intergénérationnelles restent importantes dans un contexte de faible couverture sociale institutionnelle". Nul doute qu'en 2022, il va sensiblement s'améliorer du fait de la nouvelle politique devant être mise en œuvre dès le 1er janvier prochain. 

Et du côté de la jeunesse, quel est l'état d'esprit? Comment se présentent ses perspectives d'avenir? Pas de réponse encourageante: le ressenti reste préoccupant. C'est que les jeunes Marocains n'ont pas le sentiment d'un avenir meilleur à l'horizon. Ils se sentent en effet exclus des bénéfices potentiels du changement. D’où ce constat amer: celui de leur désenchantement et même de leur pessimisme et partant leur souhait d'émigrer à la recherche d'un hypothétique bien-être...

S’agissant de la vie en société, les conclusions sont bien contrastées. Pas de surprise: le fort degré d'attachement à la nation –un carton de 4 sur 4, un invariant en 2009, 2011 et 2016. C'est là, avec l'Islam modéré et la Monarchie, le bloc de légitimité constitutionnelle, les fondamentaux: le socle du vivre-ensemble au Maroc. Mais, en sens inverse, la confiance interpersonnelle, elle, est au plus bas. Elle continue d'ailleurs à se dégrader chutant de 9.5 /60 en 2011 à 5/60 en 2016. La défiance envers les autres est ainsi un trait social. Pour quelles raisons? Seule une enquête plus affinée permettrait d'en savoir plus... 

Pour ce qui est maintenant du degré de confiance accordée aux institutions régaliennes, la déclinaison est différenciée. L'armée est au top avec 8.3/8.47, en amélioration par rapport à 2011 (7.5/ 8.47). Quant aux deux autres institutions régaliennes –la police et la justice– le degré de confiance est respectivement de 6.5/ 77.82 et de 5.6/7.75. Une progression cependant d'un point par rapport à 2011. Le rapport de l'IRES note que cette confiance insuffisante est liée "au fort degré de perception de la corruption". Il ajoute qu'il existe selon les données de ce même Institut une relation de cause à effet, inversement proportionnelle, entre la perception de la corruption et le degré de confiance accordée aux institutions.

Et les institutions représentatives? Le niveau de confiance qui leur est accordé demeure relativement faible. Une légère amélioration est relevée entre 2011 et 2016, de l'ordre d'un point: partis politiques (4/ 7.87). Parlement (4.5/8.42) et gouvernement (5.6/ 8.45). A la suite des scrutins locaux, régionaux et parlementaires de septembre-octobre dernier, l'on peut penser que ces chiffres amélioreront cet état d'esprit pour "jeter les bases d'une société plus confiante envers la sphère politique", plus précisément ce que l'on pourrait appeler l'institutionnel représentatif. 

La famille est –et demeure– l'institution de base de la société. Elle bénéficie d'un degré élevé de confiance, en tant que telle que dans la vie personnelle les chiffres se placent à 8 sur 9 ou à 8 sur 10 tant en 2007, 2011 et 2016. Dans ce même registre, la solidarité traditionnelle, assurée notamment par la famille, prolonge ce degré de confiance (3.3 sur 4). Mais tel n'est pas le cas de la solidarité institutionnelle, celle mise en œuvre par les politiques publiques: elle reste faible, même si elle enregistre une amélioration en 2016 (1.67 sur 4 contre 0.9 en 2011). 

Quant à la place de l'importance de la religion dans la vie personnelle, elle est toujours très élevée (7.7. sur 8.88), en léger recul cependant par rapport à 2014 (8.2) et à 2007 (8.71). Tout autre est le degré d'importance de la politique dans la vie personnelle. Le lien restant faible avec 3.7 sur 6.46 en 2016, dans le même palier qu'en 2011 (3.8 sur 6.46) ou 2007 (4). Dans deux éditions de l'enquête sur le lien social de l'IRES, des indications de même facture avaient été mises en relief: un faible lien politique des Marocains (58 %) et la médiocrité du civisme, 40 % considérant alors le vote comme étant "inutile".

Le taux de participation électorale le 8 septembre dernier, à hauteur de 50.3 % paraît traduire un regain de civisme. En tout cas, à l'international, le Maroc a sensiblement amélioré son positionnement à propos de cet indice. En 2007, il était de 4.12 sur 9 et en 2012 de 6.45. Qu'en est-il en 2021? Sûrement bien au-dessus, avec l'appréciation internationale satisfaisante exprimée par des observateurs internationaux et les grandes chancelleries. Et pour finir, une autre conclusion positive: celle du degré de satisfaction des Marocains dans la vie: il est important (7.46 sur 8.95 en 2012 et 7.26 en en 2007). Une illustration, malgré tout, d'un attachement au pays. A un mode de vie. A une sociabilité particulière. A des valeurs sociétales et culturelles– un "made in Morocco" envié. Jalousé aussi... Non? 

Par Mustapha Sehimi
Le 05/12/2021 à 11h00