Maroc-Algérie: de l’eau dans le gaz

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueLe régime algérien est imprévisible, peu soucieux du respect de ses engagements commerciaux et avec une gouvernance fébrile compulsive, heurtée, même.

Le 07/11/2021 à 12h22

Dimanche 31 octobre, le président algérien Tebboune a ordonné la cessation des relations commerciales entre la Sonatrach et l'ONEE et le non-renouvellement de l'accord sur le gazoduc Maghreb-Europe (GME). De la grande diplomatie! Que vont encore chercher les officiels d'Alger dans les semaines et les mois à venir? En tout cas, un acte qui va donner lieu à une réévaluation renouvelée du régime voisin tant au Maghreb –ce que l'on sait depuis des décennies– qu'en Espagne et en Europe aussi. Il est imprévisible, peu soucieux du respect de ses engagements commerciaux et avec une gouvernance fébrile compulsive, heurtée, même.

Du côté du Maroc, la non-reconduction du contrat GME a donné lieu à une première réaction qui estime que son impact est «insignifiant» sur la performance du système électrique national. C'est le sens des communiqués de l'ONEE et de l'ONHYM, dès le 1er novembre 2021.

Voilà qui repose en des termes actualisés l'état d'avancement de la stratégie gazière nationale. Aujourd'hui la consommation totale est de l'ordre de 890 millions de m3 (2019); elle a reculé par rapport à 2015 où elle avait dépassé 1,05 milliard de m3. Il faut aussi noter que 90% environ de la consommation provient de l'Algérie, la production locale ne dépassant pas les 100 millions de m3. L'hypothèse de la fin du contrat avec le pays voisin a été fortement prise en compte conséquemment à la crise de plus en plus aigüe avec Alger. D’où, à marche forcée, la diversification du «mix» électrique (énergies renouvelables, centrales thermiques è Safi et Jorf Lasfar...). Cette stratégie a été rendue publique en 2014; elle priorisait le développement de l'utilisation du gaz naturel liquéfié (GNL) en 2021. Au cours des années écoulées, elle a fait l'objet d’ajustements liés à des paramètres multiples. Elle s'est prolongée par une stratégie à long terme couvrant la période 2021-2050, finalisée il y trois mois seulement.

Il s'agit de réguler le marché du gaz naturel. Comment? Par une stimulation d'une évolution progressive de la demande, le développement d'un projet structurant d'infrastructure gazière et de l'accès aux industriels ainsi qu’aux consommateurs d'une énergie compétitive. Selon les études faites, le marché national enregistrerait deux étapes: la première verrait la demande en gaz naturel tirée par la demande du secteur de la production de l'électricité; l'autre serait liée à l'industrie. Un nouveau cadre réglementaire est à définir. Sur la base d'une évaluation affinée de la demande, plusieurs options d'approvisionnement en gaz naturel et en GNL seraient alors retenues: unités flottantes de stockage et de regazéification, terminaux onshore, flux multidimensionnels...

Une diversification des points d'entrée du produit et de ses sources assurerait dès lors tant une flexibilité d'approvisionnement qu’une assurance de régularité et de continuité. Un nouveau réseau de transport serait réalisé; il aurait comme composantes le Gazoduc Maghreb Europe et le futur gazoduc Nigéria - Sénégal - Mauritanie - Maroc. A noter encore que le GME, fermé par l'Algérie, pourrait connaître ainsi une nouvelle vie, le Maroc en ayant désormais la pleine propriété. L'option serait d'alimenter le Maroc via l'Espagne, le Qatar (4e producteur mondial derrière la Russie, les Etats-Unis et l'Iran) étant favorable à l'alimentation de la péninsule ibérique.

Avec l'arrêt de l'activité du GME, voilà l'Espagne qui se retrouve dans le rôle d'une victime collatérale. La pénurie de gaz dans ce pays sera-t-elle évitée? Les coûts d'approvisionnement ne vont-ils pas augmenter? Jusqu'à présent, vers le voisin espagnol, jusqu'à 11 milliards de mètres cubes de gaz transitaient par le GME, depuis l'Algérie, en traversant le Maroc, vers la commune de Zahara de los Atunos (province de Cadix), dans le sud de l'Espagne. Ils étaient ensuite distribués à travers la péninsule ibérique. Pour l'heure, il n'y a pas de pénuries prévues, mais il est admis qu'une hausse du prix du gaz se produira et qu'elle se répercutera sur le prix de l'électricité.L'Algérie s'est engagée à compenser l'arrêt du GME en augmentant les livraisons de gaz par d’autres voies. Mais comment? Avec des méthaniers? Sont-ils disponibles? Sans parler du surcoût… Le gouvernement espagnol n'a pas caché son inquiétude cet égard. La ministre de la Transition énergétique, Teresa Ribera, s'est rendue le 27 octobre dernier à Alger, pour en parler avec Mohamed Arkab, ministre de l'Energie et des Mines. Elle a eu droit à des assurances de principe. C'est que l'Algérie n'a pas les capacités pour honorer cet engagement. Les autorités d'Alger avancent que le contrat sera honoré à travers deux autres gazoducs pouvant livrer 40 milliards de m3 cube de gaz. Mais les experts sont très dubitatifs quant à leur capacité de le faire.Un aspect particulier n'est pas suffisamment évoqué à propos de la fermeture par l'Algérie du GME: celui des contraintes économiques propres à ce pays. Depuis 2018, la consommation intérieure absorbe 53% du gaz produit alors que seulement 47 % sont destinés au marché extérieur. L'exportation du gaz algérien tournait autour de 65 milliards/an dans les années 2.000; elle a chuté à 45 milliards de m3 en 2018 puis à 49 milliards de m3 en 2019. Des chiffres qui traduisent pratiquement une croissance exponentielle de la consommation intérieure. La fermeture du GME est peut-être une décision économique mais Alger a tenu à l’utiliser politiquement dans le cadre de son hostilité continue et accentuée envers le Maroc. Elle s'ajoute à la rupture des relations diplomatiques ou encore à la fermeture de l'espace aérien algérien aux avions marocains.Cela dit, comment ne pas voir que le gain géopolitique de cette nouvelle initiative est quasiment nul? Les autorités d'Alger s'en préoccupent-elles vraiment? Non, elles s'en moquent. Elles tablent sur la forte hausse des prix et du gaz pour leur donner une marge de manœuvre face à une opinion en forte attente de redistribution sociale. Mais le coût à l'international n'est pas à minorer: l’Espagne d'abord mais aussi l'Europe qui s'inquiète d'une politique passablement hoqueteuse et d'un régime s'installant dans la fuite en avant.

Par Mustapha Sehimi
Le 07/11/2021 à 12h22